En l’espace de quatre mois, la fortune du patron d’Amazon, Jeff Bezos, a grimpé de 20 %, soit un boom de 22 milliards d’euros. Une somme astronomique qui dépasse le Produit Intérieur Brut de l’Islande, du Monténégro ou encore de la Mauritanie. Il faut dire que depuis le début du Covid-19, les commandes en ligne ont explosé par la force des choses. Et si certains acteurs locaux bénéficient de cette hausse, comme c’est le cas par exemple des circuits-courts dans l’alimentation durable, le grand gagnant est sans conteste Amazon, la première plateforme d’e-commerce au monde, qui génère 1 milliard de bénéfices par mois. Des flux financiers qui ne rapportent guère aux Etats, en raison d’une « optimisation » fiscale record, et qui fragilise les commerces de proximité, qui ne peuvent rivaliser avec une telle armada informatique et logistique. Développer une offre numérique représente en effet un coût non négligeable, qui n’est pas à la portée de tous. D’où l’intérêt de mutualiser des ressources pour se réorganiser collectivement !
MaZone : une boutique en ligne pour les commerces locaux et solidaires
Consciente de l’importance de soutenir ses commerces de proximité, la commune d’Ixelles a décidé de financer la mise en place d’une boutique en ligne. Baptisé MaZone, le projet a été proposé et développé par Groupe One, une organisation spécialisée dans la transition vers une économie durable, et Urbike, une coopérative de coursiers à vélo, spécialisée dans la logistique du dernier kilomètre. Cette formule permet aux Ixellois de faire appel à leur commerce de proximité sans s’y déplacer. Les commerçants, de leur côté, bénéficient d’un dispositif collectif et solidaire qui amortit leurs pertes liées au Covid-19.
Fraîchement lancée, la plateforme débute sa phase d’expérimentation à Ixelles et pourrait, en fonction de la demande, étendre sa zone d’action aux communes limitrophes, dans le courant des prochains mois. En l’état, il s’agit d’une simple page Facebook avec une vingtaine de commerces participants. L’internaute y consulte les produits disponibles et passe sa commande en contactant les commerçants directement par mail ou par téléphone. Urbike se charge alors d’acheminer les commandes dans son entrepôt ixellois, avant de les dispatcher. S’il commande auprès de plusieurs commerçants, le client ne paie qu’une seule fois les frais de livraison (offerts les 2 premières semaines, puis 5 €) et reçoit le tout en un seul colis. Le coût restant de la gestion logistique, qui oscillera au gré de la demande, est dans un premier temps financé par la commune, et sera ensuite couvert par les commerçants, qui seront libres d’ajuster leur marge bénéficiaire en conséquence.
Plus les commerces seront nombreux, plus les coûts logistiques pourront être mutualisés et l’offre étoffée pour les clients : une situation profitable pour tout le monde. Précisons aussi que les coursiers de la coopérative bénéficient de conditions de travail décentes (statut d’employé, matériel fourni, horaires de travail, protection en cas d’accident, etc.), en rien comparables aux « auto-entrepreneurs » Deliveroo, UberEats et consœurs.
A terme, l’objectif est de disposer d’une plateforme d’e-commerce en bonne et due forme, active au niveau régional, avec un réseau d’entrepôts interconnectés. « On est conscients que l’expérience client est encore limitée, mais il est important de procéder par étape et nous ne disposons en l’état pas encore des moyens nécessaires pour développer l’outil », nous explique Renaud Sarrazin, d’Urbike. « Il faut s’assurer de choisir le bon modèle logistique et informatique, et de trouver un modèle économique viable, ce qui est loin d’être évident, en particulier au début, lorsque les volumes sont encore limités ».
La digitalisation des stocks est un enjeu de longue date pour les commerces de proximité, et le Covid-19 peut être perçu comme une opportunité d’expérimenter le champ des possibles. Qui plus est, entre l’essor de l’e-commerce et la volonté d’acheter localement, il se pourrait que de nouvelles habitudes de consommation émergent, ce qui renforce l’importance de diversifier ses volumes de vente.
Namur Boutik : plus que jamais, achetez namurwé !
A Namur, c’est la coopérative OpenFlow qui est à l’origine d’une démarche similaire avec Namur Boutik. Openflow est une coopérative d’entrepreneurs expérimentés qui souhaitent mettre à disposition leurs compétences pour accélérer la transition. Soucieuse d’aider les commerçants de sa région, elle a mis en place un groupe d’experts qui s’est chargé de développer un webshop en à peine deux semaines, sur base du logiciel Odoo. « Pour l’instant, nous avons mobilisé 15 commerçants et il y en a une cinquantaine qui rejoindra bientôt la plateforme. L’intérêt de bénéficier d’un outil professionnel de gestion de stocks est réel, d’autant plus que son développement coûte vite 5 à 10 000 euros. La force de notre coopérative est de pouvoir assurer ce type de mission en mettant à disposition notre temps de travail, pour le bien commun », nous explique Olivier Wénin, un des membres fondateurs d’OpenFlow.
Cette mutualisation de compétences n’enlève néanmoins rien au défi du modèle économique, auquel doit répondre la plateforme. « Nous sommes en train d’évaluer les évolutions et financements possibles. Il est clair que le nerf de la guerre est le coût du transport ». Pour l’instant, c’est au Coursier Wallon et à l’entreprise TNPS que revient le rôle de la gestion logistique. « On aimerait évidemment développer un modèle viable, qui serait transposable dans d’autres régions », conclut Olivier.
Comme nous l’explique Eve-Anne Henskens, en charge du projet chez Groupe One, plusieurs initiatives de ce type ont vu le jour dans d’autres pays (p.ex Ma Zone Québec ou Ensemble19), mais le concept serait encore au stade expérimental. Dans la même logique de donner de la visibilité à l’économie locale, mais sans l’aspect logistique, citons enfin l’initiative belge Les e-shops belges, qui connait un joli succès depuis son lancement fin mars.
Pages Facebook respectives : MaZone, Namur Boutik