Vous ne vous en êtes sans doute pas rendus compte, mais cela fait déjà quelques fois que nous vous parlons de coopératives de travailleurs. Récemment, nous relations la création d’une coopérative émanent des membres du personnel de l’Avenir, dépités par un lourd plan de restructuration. Quelques semaines plus tôt, les ouvriers de la gobeleterie Durobor se lançaient corps et âme dans la reprise de leur outil de travail, sous peine de mettre la clé sous la porte. Il y a deux ans, les travailleurs de Difrenotech reprenaient les rennes de leur usine après la délocalisation forcée de son activité. Trois initiatives pour un dénominateur commun : la volonté de sauver son emploi et de se libérer de toute pression managériale extérieure. Ici, le message est clair : et si nous reprenions collectivement notre destin en main ? Des scénarios au doux parfum héroïque qui font souvent écho dans la presse, mais qui ne représentent dans les faits qu’une fraction des coopératives de travailleurs. Pour y voir plus clair, nous avons rencontré l’Union des Scops Wallonie-Bruxelles, fédération francophone des coopératives de travailleurs belges. Focus sur un modèle qui privilégie un entrepreneuriat plus humain, qui puise son énergie dans la force du collectif.
Quand la recherche du profit exaspère
En France, seules 10 % des sociétés coopératives et participatives (SCOP) se créent lors d’une transmission, que ce soit en réaction à une faillite, une délocalisation, ou plus simplement lors d’un départ à la retraite du fondateur de l’entreprise. A contrario, près de 90 % des SCOPS démarrent de zéro, avec pour fil conducteur la volonté d’entreprendre collectivement, selon les principes coopératifs de l’Alliance Coopérative Internationale. Et que ce soit pour sauver son emploi ou pour contribuer à une société plus harmonieuse, intrinsèquement, la coopérative de travailleurs s’oppose à la logique capitaliste du tout pouvoir aux actionnaires et du profit à tout prix. Le capital appartient de manière significative aux travailleurs, qui sont seuls maîtres à bord, et/ou qui disposent au moins de 50 % des droits de vote. Notons ici la différence majeure avec une coopérative de consommateurs, où les coopérateurs ne sont pas impliqués dans le projet au titre de travailleur, et où les travailleurs ne sont pas forcément tous coopérateur. Précisons aussi que le modèle présente une certaine souplesse, dans la mesure où chaque coopérative peut différer sur certains points, comme l’obligation ou non de prendre part au capital en tant que travailleur.
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Capacité de résilience et potentiel de développement humain
D’après Emmanuel Everarts, cofondateur de la coopérative Batigroupe et représentant de l’USCOP, les coopératives de travailleurs européennes s’illustrent tant sur le plan économique qu’humain. Sur le plan économique, elles se distinguent, entre autres, par la création d’une réserve impartageable, qui se constitue en distribuant équitablement les bénéfices entre la rémunération du capital, l’ensemble des travailleurs et la réserve. Le principe présente selon lui deux intérêts : « Tout d’abord, cette réserve est une manière de protéger les travailleurs d’eux-mêmes. Il est arrivé que des coopératives soient revendues pour dégager une importante plus-value individuelle. La réserve impartageable empêche toute démarche spéculative en forçant à créer un outil commun et à le garder en interne. (…) Aussi, grâce à cette réserve, la capacité de résilience de l’entreprise est incroyable. J’ai un jour visité une coopérative italienne qui évoluait dans un secteur en pleine crise. Elle était entourée d’entreprises en faillite, et l’usine ne tournait qu’un jour par semaine. Les travailleurs ont décidé de laisser momentanément une partie du personnel à la maison, et de former les volontaires au métier de commercial, pour démarcher de nouveaux clients. Comme ils avaient trois ans de salaire en réserve pour tout le monde, ils n’ont licencié personne. Ils ont traversé cette période sans trembler, là où une autre boîte aurait licencié massivement ou serait tombée en faillite ».
Au-delà de cette force économique, la coopérative de travailleurs se caractérise aussi par une aventure humaine, où le développement personnel prend une nouvelle dimension. Le management est plus légitime, car choisi par les travailleurs, et l’esprit d’équipe renforce la capacité de résilience et de développement de l’entreprise.