L’Ouvroir – Virage à 360°

Logé à deux pas de la Gare du Midi, l’Ouvroir ne paie a priori pas de mine, occupant des bâtiments vétustes dans une rue étriquée. C’est que la richesse y est avant tout intérieure : l’entreprise veille à y développer une culture familiale et conviviale où chacun a sa place, son droit à la parole. Son équipe compte une bonne trentaine de travailleurs, et des handicaps à la fois mentaux et sensoriels. Si, comme dans beaucoup d’entreprises du secteur, ses métiers premiers sont assez conventionnels (conditionnement postal, manutention, reliure artisanale), son directeur Damien Logghe joue la carte de la diversification : ‘face au déclin de ces activités traditionnelles, nous avons dû entamer une réflexion nous amenant à développer d’autres services, comme la digitalisation qui nous assure des débouchés à court et moyen terme’.

C’est néanmoins sur la vague de l’économie circulaire que l’Ouvroir surfe depuis deux ans : ‘la revalorisation de déchets est un domaine qui représente une opportunité pour nous. Il génère une activité essentiellement manuelle, peu inscrite dans des process industriels’. Une alliance voit alors le jour avec des designers bruxellois, de laquelle naît notamment des boîtes à clés transformées d’horodateurs de la STIB. ‘C’est un réel renforcement car on sort d’un rapport de sous-traitance, et donc de dépendance, pour devenir maître d’un processus de fabrication qui nous permet de nous réapproprier le fruit de notre travail, et donc de le développer commercialement’. Le projet ‘Handymade in Brussels’ s’inscrit dans cette logique partenariale, et réunit aux côtés de l’entreprise l’ASPH, le MAD (plateforme du design et de la mode), ainsi que le designer Pierre-Emmanuel Vandeputte. En résulte des sacs produits à partir de bâches de chantier de la Grand Place, aux confins du patrimoine et de la solidarité. Avec un beau succès : les 480 sacs de la première collection sont vendus en 3 jours ! ‘Ce projet nous amène à découvrir d’autres enjeux, dont celui de la distribution. Nous développons à cet égard un réseau privilégié d’acteurs qui partagent notre philosophie, et dans lequel le partenaire public occupe une place importante’. Et le touriste de découvrir ces sacs en 2019 dans les différents points de ‘Visit Brussels’, l’agence bruxelloise du tourisme.

Se réinventer : voici un des enjeux d’un secteur qui existe depuis un siècle maintenant. ‘A Bruxelles, on peut sentir une bonne dynamique en place, qui mène les 12 ETA présentes sur le territoire à mettre des collaborations sur pied, avec comme objectif premier de pérenniser ensemble l’emploi’. C’est ainsi que ‘Handymade’ débouche sur une convention avec la Ville pour la régulation de flux de déchets de chantiers, les bâches usagées étant redistribuées aux différents acteurs pour revalorisation. ‘L’idée est désormais de structurer la démarche autour d’une marque collective ou d’un label qui permette d’identifier le projet et la plus-value sociétale que le secteur engendre : celle de permettre à des personnes moins avantagées de s’intégrer dans la société’.

Si le handicap revêt de multiples réalités, l’Ouvroir s’est… ouvert récemment à sa diversité : ‘nous nous sommes rendus compte, grâce à une réflexion avec Actiris (ndlr: équivalent du FOREM), que nous étions focalisés uniquement sur le handicap mental. Il était dès lors opportun d’élargir le champ’. Cette démarche amène l’entreprise à engager des personnes sourdes, une personne aveugle, à envisager l’aménagement de ses bâtiments en tenant compte des handicaps physiques. ‘On voit aussi apparaître de nos jours beaucoup de cas de maladie mentale, ce qui n’est pas sans poser de gros problèmes en termes d’intégration dans une équipe, de continuité et de qualité dans le travail…’. A l’heure actuelle, 1450 emplois sont subsidiés en Région bruxelloise, un quota qui n’est pas souvent atteint, les entreprises de travail adapté devant aussi faire face à un certain chômage économique. ‘Et pourtant, nous aimerions bénéficier de 75 enveloppes supplémentaires, ce qui nous permettrait de pouvoir prendre davantage de risque entrepreneurial, ou de faire face à de plus grosses commandes’.

Adaptées, les entreprises telles que l’Ouvroir savent résolument s’adapter au changement, ce que nous rappelle cette récompense au Prix de l’Economie sociale 2018, qui met à l’honneur leur faculté d’innovation dans un contexte de réponse à des défis sociétaux d’envergure. De quoi rendre directeur et travailleurs fiers de ce si bel ouvrage remis sur le métier.

Infos : http://www.l-ouvroir.be/

Grégory Dubois – Step Entreprendre