St-Vide-Leegbeek : une 20e commune à co-construire à Bruxelles

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En se baladant dans le rues de Bruxelles, on peine à imaginer qu’une surface supérieure à la commune d’Ixelles sommeille chaque jour dans les quatre coins de la ville. Et pourtant, d’après un mémoire provenant de l’Institut supérieur d’urbanisme et de rénovation urbaine (ISURU), il y aurait plus de 6.5 millions de m2 inexploités dans notre capitale. Un chiffre astronomique qui interpelle quand on connait la crise du logement qui frappe la ville, où près de 44 000 ménages sont en attente d’un logement social.
Complexes de bureaux, logements, sites industriels, maisons de maître, écoles… la typologie des espaces vides est riche et laisse entrevoir tout le potentiel que représente cette 20e commune fictive. St-Vide-Leegbeek, c’est avant tout un message fort porté par six associations (Communa, Toestand, Woningen123logements, BRAL, FeBUL, SAW-B) qui dénoncent la problématique de l’accès au logement et prônent l’occupation temporaire comme source d’expérimentation sociale, économique et culturelle.
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L’occupation temporaire : kézako ?
S’il y a belle lurette que des bâtiments vides sont « squattés », l’occupation temporaire n’existe dans nos contrées que depuis une bonne quinzaine d’années. Bien qu’il n’existe pas de législation qui lui soit spécifiquement dédiée, sa pratique repose sur un outil juridique, la « convention d’occupation précaire et temporaire ». Contrairement au squat, où il n’y a aucun contrat entre l’occupant et le propriétaire des lieux, cette convention est établie d’un commun accord entre les deux parties et encadre un minimum les conditions d’occupation. Pour éviter d’être requalifié comme bail d’habitation, le contrat ne doit pas mentionner de « locataire » ni de « loyer », mais bien un « occupant » et une « indemnité », qui doit rester significativement en deçà du prix du marché.La convention jouit d’une jurisprudence, mais l’évaluation de la nature d’un contrat reste à l’appréciation des instances juridiques, ce qui lui confère une certaine insécurité. A cela s’ajoute un cadre peu normé, où il subsiste un certain flou autour de questions portant sur la salubrité des lieux, la protection contre l’incendie ou encore l’encadrement d’une activité commerciale. En d’autres termes, si l’occupation temporaire marque un progrès par rapport au squat, elle n’en demeure pas moins une pratique aux contours trop peu réglementés. Pour le propriétaire, c’est un moyen d’éviter des coûts d’inactivité potentiellement élevés, de la détérioration naturelle du lieu à une possible amende pour inoccupation du bien pendant plus d’un an. Pour l’occupant, c’est l’assurance d’avoir un toit ou de pouvoir exercer son activité à un coût raisonnable.
Quand on sait que le marché de l’immobilier favorise les entreprises privées au détriment des initiatives non lucratives et des publics défavorisés, on comprend tout l’enjeu et la nécessité de soutenir cette pratique. Une situation d’autant plus d’actualité depuis l’introduction de la loi anti-squat en 2017.
L’expérimentation comme fil conducteur
Que ce soient des logements d’urgence, de l’habitat groupé, des projets d’économie sociale ou des activités socioculturelles, sportives ou artistiques, les initiatives qui donnent vie à une occupation temporaire répondent toutes à l’objectif de tendre vers une société plus harmonieuse à travers l’expérimentation et l’innovation, en tissant du lien entre les citoyens et leur environnement urbain. Autrement dit, l’occupation temporaire, c’est en quelque sorte un laboratoire permanent, où chaque projet peut exprimer sa créativité, dans l’intérêt du bien commun. -
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Trois exemples de projets en cours :
– La Poissonnerie
Depuis 2011, le projet occupe une ancienne poissonnerie appartenant à Infrabel, près de la gare du Nord. On y retrouve des logements pour personnes à faibles revenus, un studio d’enregistrement, une table d’hôtes et diverses activités culturelles (concerts, ateliers participatifs, …).– La Serre
La Serre occupe un ancien parking couvert et y a développé un espace hybride qui regroupe du logement, un espace de coworking accueillant plusieurs associations et un hangar hébergeant des initiatives socioculturelles.– Centre AbC
Le centre AbC occupe quatre hangars anderlechtois qui servaient de parking avant d’être rachetés par le Community Land Trust, qui va en faire des logements sociaux à partir de fin 2020. D’ici là, les lieux sont animés par diverses associations, parmi lesquelles on retrouve Fungal Fablab, un laboratoire qui explore toutes les utilités imaginables des champignons, CITA VERDI, qui œuvre pour le développement d’espaces verts en milieu urbain ou encore HOME for LESS, qui conçoit des modules destinés à occuper des bâtiments vides afin d’y reloger des personnes sans abri.Lutter contre l’uberisation du logement
Face aux initiatives d’économie sociale, des entreprises privées traquent elles aussi des projets d’occupation temporaire. Non pas pour susciter de l’innovation, mais bien pour générer du profit en « uberisant » le secteur du logement. D’une part, l’entreprise assure au propriétaire une présence dans son bien immobilier et lui épargne tout risque de squat non désiré. D’autre part, elle utilise des personnes qui n’arrivent plus à se loger au tarif du marché en leur imposant des contrats très contraignants. Un phénomène courant aux Pays-Bas, comme nous l’explique Antoine Dutrieu, chargé de projets chez Communa : -
« On appelle ça du City Washing. Ce sont des entreprises de gardiennage de bâtiments vides qui attirent les propriétaires avec un beau discours, sécurisant. En Hollande, 120 000 personnes sont logées via ce type de prestataire. L’entreprise Camelot en est le parfait exemple : c’est le promoteur immobilier qui a connu la plus grosse croissance en Europe ces dernières années. C’est dire si le marché est rentable ! ».
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Il existe aussi des projets à la croisée des chemins, à l’image de See U, le récent programme d’occupation temporaire de l’ancienne caserne de gendarmerie Fritz Toussaint, à Etterbeek. L’initiative accueille certes de nombreux projets d’économie sociale (Terre-en-vue, Worms asbl, CinéCité, Musée du Capitalisme, etc.), mais est pilotée par un groupement composé de Creatis, D-Side Groupe et Troisième Pôle, soit des acteurs privés qui découvrent l’occupation temporaire. « Ce n’est pas le modèle que nous défendons », commente Antoine. « Ils n’ont pas d’expertise sur le sujet, que ce soit en matière d’ancrage dans le quartier ou de gouvernance participative ».
Le STUN : un nouveau réseau d’échange
En plus de St-Vide-Leegbeek, les six associations viennent de créer le STUN, pour « Social Transitory Use Network ». « On est en contact avec plus de 25 collectifs partout en Europe et il nous semblait important de renforcer la dynamique de partage via la création d’un réseau », nous explique Antoine. Le réseau organisera la première rencontre entre ses membres cet été à Riga, en Lettonie, sous forme d’un festival de deux semaines. Il va sans dire que l’occupation temporaire n’existe pas qu’en Belgique, et qu’il y a beaucoup d’enseignements à tirer de pays voisins. « Berlin a par exemple 15 ans d’avance sur nous, mais cela n’a pas forcément eu que des effets positifs et c’est la raison pour laquelle un partage d’expérience est important », souligne notre interlocuteur.En attendant, les efforts sont déployés pour sensibiliser nos pouvoirs publics à la veille des élections, en vue d’améliorer la convention d’occupation précaire et temporaire et de privilégier les porteurs de projets sensibles à l’économie sociale dans le cadre d’appels à projets publics. Le dernier en date étant celui relatif à l’occupation temporaire du Tri Postal dans le quartier Midi.
Adrian Jehin – ConcertES
Pour aller plus loin :
Analyses « Les multiples visages de l’occupation temporaire » et « L’occupation temporaire sera-t-elle associationniste », de Mathieu Vanwelde, pour SAW-B.