L’ES en réponse aux (in)certitudes
Si beaucoup s’entendent pour parler d’incertitudes face aux bouleversements que nous traversons (dérèglement climatique, tensions géopolitiques, etc.), Benoît Hamon défend quant à lui l’utilisation du terme certitudes. En effet, nous disposons depuis longtemps d’informations claires sur ces transformations, qui sont étudiées, analysées, documentées. Les rapports scientifiques, les chercheurs, les penseurs nous en alertent depuis des années. Difficile alors de jouer la carte du désarroi.
Benoît Hamon construit son argumentaire autour de quatre certitudes majeures qui façonnent notre époque — autant de défis auxquels l’économie sociale (ES) peut, selon lui, apporter des réponses :
- L’obsolescence du capitalisme : le système économique dominant, qui révèle ses limites face aux crises sociales et environnementales, est complètement obsolète, mais loin d’être terminé. L’ES prouve qu’une autre voie est possible.
- L’impact de l’intelligence artificielle (IA): l’IA bouleverse les modes de production et de gouvernance. Elle redéfinit le travail, si rapidement qu’il est souvent difficile de s’y adapter, et lorsque l’IA remplace, il n’y a aucun débat, aucune consultation. Seul le marché régule. L’ES, avec sa tempérance, ses modes de gouvernance, et ses communs numériques, a son mot à dire dans ce basculement technologique.
- La fin de l’hégémonie occidentale : la montée du nationalisme, l’ère Trump 2.0 et la recomposition des équilibres mondiaux dessinent un nouvel ordre international. Forte de plus d’un siècle d’expérience, l’ES incarne une coopération internationale basée sur des rapports de pair à pair, en phase avec ces mutations géopolitiques.
- Les transitions démographiques et migratoires : les conflits et le dérèglement climatique poussent des millions de personnes à quitter leur pays. Pour faire face à ces flux migratoires, les États se doivent d’être inclusifs et l’ES, experte en inclusion sociale, a certainement un rôle important à jouer.
L’économie sociale a donc de nombreux arguments pour défendre son modèle et sortir de la marginalisation. Dans un climat où les risques de conflits s’accentuent, la cohésion citoyenne et les liens sociaux deviennent cruciaux, et c’est spécifiquement dans les structures de l’ES qu’on retrouve ce lien social. La conjoncture justifie pleinement que les politiques s’inspirent et appliquent les stratégies de l’ES – la plus jeune des économies, la plus en phase avec les réalités actuelles.
Une économie politique et démocratique
Lorsqu’on l’interroge sur l’actualité politique française, Benoît Hamon l’affirme, l’économie sociale est résolument politique. Elle ne pourra rester indifférente à la montée de l’extrême droite, dont le projet inégalitaire est fondamentalement incompatible avec ses valeurs.
Par sa gouvernance horizontale, l’ES renforce la démocratie, non seulement dans les entreprises, mais aussi dans la société. Là où l’économie capitaliste, souvent étanche à la participation citoyenne, perpétue une verticalité du pouvoir, l’ES propose un contre-modèle : une économie hospitalière aux débats, où la délibération collective devient un outil d’émancipation. Elle forme ainsi des citoyennes et citoyens responsables, ouverts, et moins enclins à la polarisation.
L’économie sociale, en plus d’être une actrice de transformation, est une « véritable école de la démocratie ».
Changer d’échelle
Les tables rondes sont l’occasion de débattre des enjeux du développement de l’ES et des moyens de la soutenir. La capacité de l’ES à concilier performance sociale, environnementale et viabilité économique est soulignée à travers plusieurs exemples, tout comme sa résilience face aux crises. Néanmoins, pour passer à une échelle supérieure, il ne suffit pas de constater ses réussites : des leviers concrets doivent être activés.
Flora Kocovski, directrice de W.ALTER, identifie trois leviers essentiels : un accompagnement ciblé, des dispositifs de financement appropriés, et surtout une politique ambitieuse. Pour elle, renforcer le pilier politique de l’ES est indispensable : « Avec peu de moyens, l’ES fait beaucoup – alors avec beaucoup de moyens ? ». Sybille Mertens, directrice du Centre d’économie sociale HEC Liège, insiste sur l’urgence de structurer l’écosystème, via des fédérations et plateformes permettant aux acteurs de se rassembler, et sur la nécessité d’une stratégie forte, portée à la fois par les territoires et les décideurs. Ces derniers doivent également être sensibilisés au fait qu’ils peuvent s’associer avec les structures de l’ES pour relever les défis contemporains.
Ce changement d’échelle repose aussi sur un travail de terrain : faire connaître l’économie sociale, aller à la rencontre des publics les plus vulnérables, et renforcer l’éducation à ses valeurs. Si l’ES dispose de preuves tangibles de ses résultats, elle manque souvent de ressources et d’outils pour les valoriser. D’où l’importance, soulignée à plusieurs reprises, de construire un narratif fort, capable de mettre en lumière des indicateurs alternatifs et d’inspirer un engagement collectif.