Les 13 et 14 novembre aura lieu au Tri Postal la seconde édition de la Brassicole Solidaire, à Bruxelles. Un salon qui met en avant les bières qui s'inscrivent dans les principes de l’économie sociale et circulaire. En guise de mise en bouche, Transfo vous propose un voyage au sein de ce secteur de goût, à mille lieues des productions industrielles d'AB InBev et co.
Malgré le monopole des géants de la bière sur sa distribution (80% des cafés dépendent de ceux-ci), sujet qu’a brillamment analysé la revue Tchak!, les alternatives se construisent. Il existe aujourd’hui pas moins de 400 brasseries en Belgique, près de 4 fois plus qu’en 2010. Plusieurs d’entre-elles ont souhaité s’inscrire dans les valeurs de l’économie sociale, en prônant la solidarité et la coopération, et en inscrivant leur action dans une recherche d’impact social et environnemental pour la collectivité. En effet, comme le souligne Julien Collard, co-fondateur et responsable com’ de la Brasserie de le Lesse : « Les brasseries issues de l’économie sociale sont hypermodernes, dans le sens qu’elles s’inscrivent dans le temps présent, celui d’offrir des utopies concrètes et robustes pour répondre aux crises sociales et environnementales que nous traversons« .
Des brasseries inscrites dans la circularité La bière est composée de quatre ingrédients principaux : l’eau, le malt, la levure, et le houblon. Le malt vient apporter les sucres qui seront transformés par la levure en alcool lors de la fermentation, alors que le houblon amène des arômes et son goût amer à la bière, tout en possédant un pouvoir antiseptique pour aider à la conservation de cette dernière. À cela peuvent éventuellement s’ajouter d’autres ingrédients, que cela soit diverses céréales, des fruits ou encore des épices.
Dans les grandes lignes, le processus de fabrication brassicole se déroule en sept étapes. En premier lieu, les étapes de maltage et d’empâtage où le malt est trempé et subit différentes étapes dont une étape de chauffe à haute température (85°C-105°C). Celle-ci libère ses sucres naturels qui ont une structure moléculaire complexe les rendant impropres à la fermentation. Ils sont alors ensuite transformés en sucres simples lors de l’étape de brassage, qui requiert aussi eau et chaleur.
Cette étape implique une filtration, et résulte en deux éléments : le moût, la partie filtrée qui contient les sucres et sera utilisée dans le reste du processus de fabrication, et la drèche, les résidus de grains qui sont un des déchets de la fabrication de la bière. Plusieurs brasseries s’inscrivent dans la revalorisation de leurs externalités : la drèche est régulièrement utilisée comme nourriture pour le bétail, comme compost pour les champs des alentours, ou encore revalorisée en crackers apéritifs, comme c’est le cas par exemple via le projet Beer Food. Une autre externalité du processus de production est la chaleur produite, qu’il est possible de récolter pour d’autres utilisations : la Brasserie de la Lesse, par exemple, récupère la chaleur du processus de brassage pour chauffer et alimenter en eau chaude ses locaux, les bureaux environnants, mais aussi le bistrot et magasin adjacents.
Ensuite vient l’étape de l’houblonnage, faite à ébullition, et lors de laquelle divers houblons sont ajoutés au moût. Finalement, le mélange est refroidi à température ambiante (15°C-20°C), et la fermentation prend alors place : les levures vont transformer les sucres simples en alcool, tout en rejetant du CO2 et de la chaleur. Au bout de quelques jours, la bière peut être conditionnée avant d’être soutirée en fût où en bouteille. C’est donc un processus qui d’une part demande beaucoup d’eau, de chaleur, et qui d’autre part produit de nombreux déchets : de la drèche, de l’eau, mais aussi de la chaleur. Dans ce sens, il est aussi possible d’agir au niveau des installations matérielles. La Brasserie de la Lesse s’est pour sa part installée dans un environnement basse énergie. Au sein de celui-ci le bâtiment en bois massif et isolé par de la paille réduit la nécessité d’apports de chaleur, laquelle est elle-même d’ailleurs récupérée du processus du brassage comme mentionné précédemment.
Fin 2017, la coopérative met en effet en place une gestion intégrée de l’énergie dans l’ensemble de la brasserie. La mise en œuvre fut assurée par Coopéos pour la partie Récupération d’Energie et par l’Atelier de la Verte Voie (architectes) pour la conception des bâtiments. Toutes les spécifications techniques sont sous licence libre sur demande.
Au-delà de ces aspects, il faut aussi considérer l’impact environnemental du cycle de production et de vente de la bière. En d’autres termes, il faut porter attention aux matières premières utilisées, au transport aussi bien entre le producteur de matière première et la brasserie que depuis la brasserie jusqu’au consommateur, et au recyclage des différents déchets. Dans ce sens, certaines brasseries utilisent le modèle du circuit court, qui ne fait intervenir au plus qu’un seul intermédiaire entre le producteur et le consommateur. Cela peut se faire aussi bien par l’achat de céréales et de houblons locaux. C’est par exemple le cas de la Brasserie Coopérative Liégeoise , qui crée des bières bio en valorisant l’agriculture locale, et travaillant main dans la main avec des producteurs locaux et belges, mais aussi d’autres brasseries.
Faire de la bière, une aventure collective La solidarité est présente dans le monde de la bière depuis ses origines : les moines trappistes ancestraux reversaient déjà une partie de leurs bénéfices à des œuvres caritatives. Aujourd’hui encore, les bières labellisées « Authentic Trappist Product » adhèrent au principe de destiner leurs revenus aux « nécessités de la communauté monastique, à la solidarité au sein de l’Ordre Trappiste, à des projets de développement et à des œuvres caritatives ».
De nos jours, avec l’explosion des microbrasseries, les projets à finalité sociale n’ont jamais été aussi présents. En effet, qui dit production, dit création de valeur et derrière la bière, de nombreux projets sociaux émergent. Pour beaucoup, la production de bière, bien qu’elle demande un investissement initial sérieux, est un geste passionné. Autour d’une brasserie, même à faible volume, une communauté et une envie de tisser des liens peuvent émerger autour d’un projet. On peut par exemple citer la Biche de Saint-Gilles, une bière solidaire qui reverse l’intégralité de ses bénéfices à « L’Entraide de Saint-Gilles », une structure qui se voue à l’aide aux sans-abris. Certaines bières éphémères peuvent aussi soutenir des luttes, comme la Keelbier, une bière engagée qui s’est créée pour lutter contre la création de la méga-prison d’Haren. Un projet plus connu, la 100PAP, lutte contre la précarité matérielle et temporelle des personnes sans papier. Dans cette logique, ils investissent dans la création de logements durables et en aide immédiate. La finalité sociale peut aussi intervenir dans la chaine de production à d’autres moment, comme c’est par exemple le cas avec la Brasserie du Renard qui met en place des aides à la formation et l’insertion, notamment en travaillant avec des adultes porteurs d’handicap, ou encore en soutenant des structures comme l’ASBL Almagic, qui vise à rendre accessible les évènements publics aux personnes à mobilité réduite.
Il y a peut-être un naturel belge à créer des bières quand il s’agit de trouver de la passion et de créer du lien. Outre les exemples précédents, on peut parler de l’iLLeGaaL, dont le but est de créer un espace de rassemblement pour les artistes et les brasseurs. Cette convergence permet un environnement dynamique, tenant du sens commun : la bière accompagne les vernissages et autres événements, ce qui crée des synergies entre le monde de la bière et le secteur culturel.
Enfin, la bière, toujours rassembleuse, s’inscrit aussi dans une dynamique de quartier et d’économie locale. Une initiative appelée « Bières de Quartiers » tente de mettre en lien passion pour le houblon et « synergies locales ». C’est-à-dire donner un caractère au goût et choix esthétiques jusqu’aux étiquettes, ajoutant aussi des anecdotes et informations sur la mémoire du territoire. C’est une manière de créer une fierté autour de la production locale, ainsi qu’une occasion d’en apprendre un peu plus sur son environnement proche.
Biérocratie, ou autre manière de consommer et de produire ? Nous l’avons vu, le secteur brassicole belge peut compter sur de nombreux projets s’inscrivant dans les principes de l’économie sociale et circulaire. Dans cette dernière partie, focalisons-nous sur les principes coopératifs. Ce mode de gestion comprend, entre autres, le concept d’un membre, une voix et la volonté de ne pas rechercher le lucre à tout prix, propre à toute entreprise d’économie sociale.
Récemment, on a pu voir l’émergence de coopératives de production dans le secteur brassicole. Prenons l’exemple de Co-Hop, une coopérative de quatre brasseries fondées en 2020, et s’inscrivant dans une démarche éco-responsable (récupération de la chaleur, installation de panneaux solaires, réutilisation du CO2 produit lors de la fermentation). En plus de ces efforts, elle mutualise ses ressources (matériel de brassage, compétence) et ses lieux (espace de formation, sandwicherie, magasin). Cela permet non seulement aux quatre brasseries membres, mais aussi à d’autres brasseries, de pouvoir produire leur bière dans cet environnement. La richesse de l’écosystème mis en place vient apporter une résilience globale à l’ensemble des activités.
D’autres coopératives à finalité sociale portent un projet de société plus large comme nous l’avons déjà énoncé avec la Brasserie de la Lesse, notamment en intégrant les coopérateurs, les producteurs, les distributeurs à leur modèle économique et social. Ce mode de gouvernance se retrouve aussi chez la Brasserie du Renard, dans lequel les coopérateurs sont invités au-delà du choix des orientations stratégiques de la structure, à participer aux activités de production de la brasserie (brassage, mise en bouteille, récolte et transformation des fruits, …) et à des projets plus vastes comme l’houblonnière du Renard.
Pour un secteur brassicole solidaire ! Que retenir de ce périple au cœur du secteur brassicole solidaire belge ? À travers ces exemples de projets qui innovent dans les principes de l’économie sociale et circulaire, les modes de fonctionnement et la lutte contre le gaspillage, l’intérêt d’étudier ces pratiques et de les faire connaître semble plus que jamais d’actualité. En effet, ces autres manières de produire et de consommer ont démontré, au-delà de la solidité de leur modèle économique, qu’elles contribuent à la résolution des enjeux d’aujourd’hui et de demain. Comme le souligne Julien Collard, « appréhender l’économie sociale et les enjeux qui en découlent peuvent se faire assez facilement via le secteur de la bière qui véhicule déjà des valeurs fortes comme l’artisanat, la solidarité, … De plus, c’est une filière accessible ou il est possible pour tout en chacun de se lancer avec ou sans installations propres ».
Ne nous reste plus qu’à vous donner rendez-vous les 13 & 14 novembre pour quelques dégustations solidaires !
Plus d’infos sur le site internet de la Brassicole solidaire.