L’économie sociale au cœur des transitions, un événement européen qui a tenu toutes ses promesses

Les inscriptions affichaient complet depuis des semaines déjà : c’est dire comme ces deux jours suspendus au Palais des Congrès de Liège étaient attendus par celles et ceux qui font l’économie sociale, chez nous mais aussi dans toute l’Union Européenne. ‘Nous sommes super contents et fiers’ exprime Pascale Zoetaert, chargée de projet chez ConcertES, l’une des chevilles ouvrières wallonnes avec les très impliqués CIRIEC et Direction de l’Economie Sociale (SPW). ‘Une de nos plus grandes satisfactions était déjà en amont d’avoir pu coconstruire l’événement avec les deux autres régions du pays, ce qui faisait de celui-ci l’un des rares événements à dimension nationale programmés sous la présidence belge du Conseil de l’Union européenne. C’est un signal fort, et la résultante en est des relations renforcées entre la Wallonie, la Flandre et la Région bruxelloise dans cette matière où la coopération est une valeur cardinale’

Mandaté par le Gouvernement wallon, le CIRIEC-Belgium en tant que ‘chef-projet’ wallon a été chargé de coordonner tant l’organisation générale, la Conférence ministérielle que le programme de la Rencontre européenne des Acteurs de l’économie sociale, en collaboration avec le chef-projet flamand, Pieter Geladé, Policy Officer détaché du Department Werk en Sociale Economie pour gérer les matières « économie sociale » pour le compte du gouvernement flamand durant la Présidence belge de l’UE. En sa qualité de Secrétaire générale de la Section belge du CIRIEC, et bénéficiant de nombreux contacts dans les différentes régions/communautés de Belgique, mais aussi à l’international en tant que Directrice du CIRIEC international, Barbara Sak explique le challenge que fut cette belle aventure tri-régionale de plus de 8 mois de travail collaboratif.

‘Il s’agissait en effet de faire de la Rencontre de Liège un lieu d’échanges autour des réalités de terrain et des préoccupations des acteurs et de ceux qui « font » chaque jour l’économie sociale. Quels thèmes de discussion et d’échange privilégier, dans les workshops et les tables rondes, pour aborder la diversité des enjeux pour une entreprise ou organisation de l’économie sociale, petite ou grande, en situation de concurrence ou non avec les entreprises conventionnelles, en prise avec l’adaptation nécessaire à l’ère digitale, ayant des objectifs sociétaux, d’inclusion ou des thématiques plus environnementales ?  Quels exemples choisir pour montrer la diversité et la richesse de ce qu’est l’économie sociale en Belgique, présente dans tous les secteurs d’activité économique ?  Quelles entreprises aller visiter dans leur réalité de tous les jours via des circuits en bus ? Quelles réalisations exposer en live ou via des vidéos et que faire découvrir dans le Village de l‘économie sociale pour montrer le dynamisme et le laboratoire d’idées qu’est l’économie sociale ? etc. In fine, c’est « l’alchimie » de tous ces acteurs ainsi que des pouvoirs publics locaux et régionaux, mais aussi d’une Europe soutenante avec son Plan d’Action pour l’Economie sociale et la Recommandation du Conseil qui matérialisent l’écosystème particulier de l’économie sociale, qui a fait de Liège 2024 une si belle réussite.  Merci à eux tous !’.

Séances plénières, tables rondes et workshops, visites d’entreprise et village de l’économie sociale : les quelques 600 participants – dont 20 à 25% provenant d’autres pays de l’Union ou représentant des associations internationales actives dans notre capitale – ont pu apprécier un programme varié sur le thème des transitions verte, inclusive, et numérique. Rythmé par les coffee break, l’événement aura très certainement également valu par ses nombreux échanges informels, dans un espace pensé pour mettre en valeur les acteurs belges de l’ES. ‘La diversité du paysage national aura été mise à l’honneur, et témoigné d’un tissu dense que l’on nous envie hors de nos frontières. Parmi les entreprises présentes, je tire mon chapeau à Cortigroupe, qui aura relevé avec brio le défi du catering en mobilisant un grand nombre de ses travailleurs, toutes sections confondues, et prouvé que l’économie sociale peut répondre présent sur des chantiers d’ampleur’ précise Pascale Zoetaert.

Un moment aura bien entendu retenu davantage l’attention : celui de la présentation de la feuille de route de Liège, introduite par la Ministre wallonne de l’Economie sociale, soit 25 propositions adressées par les Ministres européens en charge de l’économie sociale au Conseil de l’UE et à la Commission Européenne. ‘Cette feuille de route vient renforcer des textes forts comme ceux émis ces dernières années par l’ONU ou l’OIT. Elle appuie le plan d’action de l’Union Européenne visant à stimuler l’économie sociale d’ici 2030. On peut notamment en retenir la volonté d’inclure l’ES dans l’ensemble des politiques sur la prochaine législation 2024-2029, et de lui dédier un commissaire à part entière qui puisse garantir sa transversalité. Elle aborde notamment la question des financements et des aides d’état, mais aussi la place de l’économie sociale dans les apprentissages et la nécessité d’une approche genrée. Cette feuille de route pointe l’approche holistique de l’économie sociale et son apport en matière de gouvernance et d’inclusion des citoyens, sa modernité pour citer Nadine Richez-Battesti dans son discours inaugural. Et voir l’Allemagne et la Pologne rejoindre le comité du Luxembourg – ndlr : une instance intergouvernementale mise en place en 2015 – est aussi l’autre excellente nouvelle entérinée lors de cet événement car cela lui donne encore plus de consistance’.

[consulter LIEGE ROADMAP FOR SOCIAL ECONOMY IN THE EU]

Une feuille de route, mais après ?
Membre du comité scientifique qui a accompagné la mise en place de cette rencontre, ingénieur de recherche à Sciences Po Bordeaux et titulaire de nombreux mandats touchant à l’économie sociale et solidaire, Timothée Duverger tempère quant à lui les attentes. ‘Si on jette un regard en arrière, les premières velléités politiques datent de 1989 et des années Delors, avec des pas en avant certes, mais aussi beaucoup de stagnation. Ce qu’il faut au-delà des intentions, ce sont à la fois des financements dédiés et des volontés nationales. Voir l’Allemagne emboîter le pas est formidable, car c’est un pays qui a toujours regardé l’économie sociale d’assez loin. Constater l’intégration qu’en fait l’Espagne dans ses politiques propres, à un niveau jamais égalé, est aussi extrêmement positif, tout comme la nomination de Maxime Baduel, délégué ministériel à l’ESS en France. Mais quid au lendemain des élections, dans un contexte favorable à la montée des populismes ?’.

Sans parler de la nécessité d’inscrire cela dans une perspective de post-croissance, ce qui est encore bien loin des discours dominants. ‘Il faut absolument doter le pacte vert européen d’un volet social, pour l’instant absent. Concilier nos orientations libérales avec nos impératifs sociaux dans une pensée de la transition écologique. L’économie sociale permet cela. Elle est l’expression d’une société civile qui s’empare de l’économique face aux enjeux collectifs. Nous avons besoin d’une coalition forte entre celle-ci et le secteur public pour apporter une réponse régulée aux défis qui nous sont adressés, par exemple la démarchandisation du secteur médico-social’. De la reconnaissance à l’implémentation transversale et au développement, le chemin paraît donc encore long malgré les nombreux signaux positifs. Le scrutin de juin y apportera son lot de réponses. Et 2024 et sa feuille de route de Liège de – croisons les doigts – passer dans les annales.