Le circuit court, à la croisée des chemins ?

L’avis est unanime et est d’ailleurs relayé par une récente analyse produite par la Ceinture Aliment-Terre Liégeoise : après un succès fulgurant en début de crise sanitaire, la filière de l’alimentation durable (producteurs, transformateurs, distributeurs) subit un net contrecoup, poussant même certains à mettre la clé sous le paillasson, en proie à des problèmes de rentabilité ou tout simplement las que la qualité et pénibilité de leur travail ne soient plus reconnues par une fréquentation et des ventes suffisantes, permettant une rémunération décente.

‘Notre mois de novembre 2021 est moins bon que celui de 2020’ illustre Johan, membre hyper actif du magasin coopératif Oufticoop. ‘Et pourtant, en un an, nous avons acquis de nouveaux coopérateurs et étendu nos horaires d’ouvertures. En mars 2020, on voyait de nouvelles têtes franchir le pas de la porte, et le panier moyen avait ostensiblement augmenté. C’était rassurant pour la clientèle de fréquenter un petit lieu. Les gens avaient aussi davantage de temps et d’empathie pour un projet à finalité sociale, où garder une sphère de socialisation’.

Si l’impact de ses grands chantiers urbains font de Liège un cas à part, une cause structurelle commune au territoire wallon est sans aucun doute à trouver dans la diminution du pouvoir d’achat, que les conséquences de la facture énergétique vont encore amplifier. ‘L’alimentation est clairement une variable d’ajustement pour beaucoup. Celles et ceux qui se battent pour boucler leur fin de mois vont logiquement vers les grandes surfaces, qui écrasent les prix, les producteurs et la qualité’. Chez Oufticoop, où le modèle participatif a l’avantage de ses inconvénients (les 3h de participation mensuelle des membres – pouvant être perçus comme une contrainte – permettent de maintenir une charge faible sur le magasin et des prix à la fois bas pour le client et justes pour le producteur), on ne se décourage cependant pas et on va sous peu veiller à toucher davantage la clientèle du quartier, paradoxalement sous-représentée.

A Charleroi, la Ceinture Alimentaire Charleroi-Métropole veille à fédérer depuis 2017 les différents protagonistes du circuit court et du bio et partage ce même constat, à la loupe de Circulacoop, opérateur logistique créé en 2019. ‘Les ventes ont vraiment chuté au dernier trimestre 2021. On sent bien un intérêt mais l’accessibilité physique et financière est un frein dans un bassin de vie relativement précarisé, marqué par un réseau de distribution peu dense’ explique Stéphane, coordinateur de la CACM et conseiller chez SAW-B.

‘Nous identifions plusieurs leviers d’actions pour faire bouger les choses : tout d’abord développer l’e-commerce pour les particuliers, sur le modèle de Paysans-Artisans, afin de toucher les zones plus rurales, avec de l’implication citoyenne en sus. Ensuite, travailler la coopération entre les entreprises. Si ces acteurs veulent se pérenniser et grandir, ils doivent dialoguer, mutualiser, développer des stratégies concertées. Enfin, le green deal wallon ‘cantines durables 2.0’ devrait permettre aux différents maillons de la chaîne d’assurer des volumes et de stabiliser leur activité’. Diversifier ses canaux de vente mais aussi ses publics : un élément d’importance dans un développement commercial sur un marché fortement concurrentiel.

Des enjeux de communication
Le collectif 5C réunit une quarantaine de coopératives citoyennes en circuit court, avec pour objectif de représenter les petits acteurs de l’agroécologie et de stimuler les échanges entre ceux-ci. Aux éléments précités, on y pointe également la nécessité de politiques publiques plus volontaristes (notamment en ce qui concerne le soutien aux maraîchers), celle d’une approche plus solidaire entre consommateurs (avec par exemple des pratiques plus répandues de prix différencié selon ses revenus), et la nécessaire lutte contre le greenwashing des grandes enseignes. ‘Il est primordial que le consommateur s’y retrouve dans ce qu’il achète, qu’il comprenne ce qu’il y a derrière’ commente Pierre, coordinateur du collectif. ‘On est face à des grosses machines, avec une force de frappe, et notre survie passera par l’affirmation et la lisibilité de notre ADN, nos valeurs écologiques et sociales. Dans la multiplicité des initiatives, nous devons rester unis, travailler en synergie et bonne intelligence pour nous renforcer mutuellement’.

Porter la voix du secteur avec nuance et diffuser ses combats vers le grand public, le magazine Tchak ! le fait depuis deux ans maintenant. Yves, son rédacteur en chef, pose un regard aiguisé d’observateur : ‘on a pu constater un défaitisme chez certains, une volonté de remise en question chez d’autres. Globalement, les acteurs qui travaillent en collectif et soignent leur communauté sont plus résilients et développent des capacités de réaction autres. Je pense que l’avenir d’un circuit court vertueux passera par la collectivisation des moyens et des risques d’une part, par une plus grande professionnalisation de ses parties prenantes d’autre part. Le secteur alimentaire est très complexe et demande à la fois des compétences théoriques et pratiques, qui se transmettent entre autres dans la coopération. Une politique alimentaire en phase avec la réalité de terrain devrait également être plus inclusive. Les petits acteurs et les citoyens n’y sont pas représentés, alors qu’ils font désormais bel et bien partie du paysage’.

Santé publique, préservation de l’environnement, inclusion sociale, savoir-faire métier, goût : autant de domaines auxquels touchent le secteur alimentaire et que soignent un circuit court aujourd’hui rattrapé par le galop de nos quotidiens. Alors ‘février sans supermarché’ certes, mais aussi toute l’année afin de soutenir celles et ceux qui nous nourrissent dignement et avec tant de qualité.