En Europe, l’économie sociale représente 2,8 millions d’entreprises et d’organisations, pour 13,6 millions d’emplois. Son approche de finalité sociale, de gouvernance participative et de rétribution limitée du capital en fait un acteur incontournable de la transition vers une économie plus soutenable.
C’est en 1989 que la commission européenne communique pour la première fois sur cette autre manière d’entreprendre, dans une publication intitulée « Business in the Social Economy sector : Europe’s frontier-free market ». On y associe notamment la naissance du statut de coopérative européenne, et une concertation est mise en place avec les acteurs de terrain. Si l’intérêt pour le modèle s’atténue dans les années 90, période faste du capitalisme après la chute du mur de Berlin, il redevient source d’inspiration au lendemain de la crise des subprimes, en 2008. En 2011, la commission met en place le plan d’action « Initiatives pour les entreprises sociales », qui aura certes nourri une certaine confusion entre le social business et l’économie sociale, mais qui aura notamment inspiré la constitution en 2014 de marchés publics socialement responsables. C’est aussi à ce moment qu’est constitué le GECES, groupe d’experts de la Commission sur l’entrepreneuriat social. Historiquement, on peut donc dire que ce nouveau plan d’actions est la troisième communication d’ampleur de la commission européenne sur l’économie sociale.
Co-construction et co-implémentation
Nous avons demandé à Victor Meseguer, directeur de Social Economy Europe, ce qui sont à ses yeux les points forts et points d’attention de ce plan. « C’est une communication bien écrite, très connectée et co-construite avec le terrain », se réjouit-il. On peut à ce propos consulter un document de travail retraçant la concertation qui a été réalisée pour aboutir à la feuille de route. « Le plan reprend une définition de l’économie sociale qui correspond à notre vision, et qui pose un cadre clair et fédérateur pour tous les Etats membres. On apprécie aussi la volonté de la commission d’accompagner les Etats individuellement. La recommandation du Conseil de l’Union, qui va poser dès 2023 un cadre de référence pour l’implémentation d’une stratégie de développement est une excellente initiative. On peut comparer ce cadre de référence à ce qui a été fait en matière de PME, dont la définition européenne, non contraignante, a été petit à petit adoptée par tous les Etats membres ». En ce sens, la commission souhaite interagir avec une coupole représentative par pays. « Il faut savoir qu’aujourd’hui, il y a des disparités encore très grandes d’un Etat à l’autre. L’idée est d’essaimer, notamment dans les pays de l’Est, les bonnes pratiques qui existent déjà dans d’autres Etats, comme la Belgique ou la France ». Aujourd’hui, force est de constater que peu d’Etats membres disposent d’un cadre légal dédié à l’économie sociale. La posture du plan d’actions devrait donc permettre une certaine convergence vers une définition commune.
3 axes stratégiques et 38 actions
Aligné avec la stratégie industrielle pour l’Europe, le plan d’actions pour le développement de l’économie sociale reprend 3 axes stratégiques, et mentionne 38 actions à mener d’ici 2030, avec une évaluation intermédiaire prévue en 2025. Le premier axe s’emploie à créer les conditions propices à l’essor de l’économie sociale, en adaptant les cadres législatifs aux besoins des acteurs de terrain, notamment en matière de taxation et de marchés publics socialement responsables, mais aussi au niveau des aides d’Etat. Un nouveau programme Single Market est attendu dès 2022 pour encourager les synergies entre entreprises d’économie sociale et entreprises dites classiques.
Le deuxième axe veillera, dans une logique similaire, à mettre en place cadre propice à la création et au changement d’échelle d’entreprises d’économie sociale. Citons ici la mise en place d’une plateforme unique en 2023, suggérée par Social Economy Europe. « Ce sera un espace centralisé, qui comprendra une multitude de ressources utiles pour les entreprises, notamment en matière d’accès aux aides d’État » commente Victor. Citons aussi le lancement d’une académie de jeunes entrepreneurs, qui travaillera avec les réseaux concernés des Etats membres dès 2022. La commission souhaite par ailleurs soutenir le potentiel de transition écologique et digitale de l’économie sociale, un acteur clé en matière d’innovation, notamment avec le développement de plateformes collaboratives. A cette fin, elle mettra en place un parcours de transition en co-construction avec les parties prenantes. Dans le cadre du fond social européen (ESF+), un centre européen de compétences pour l’innovation sociale devrait également voir le jour en 2022.
Enfin, dans le cadre du troisième axe, la commission européenne entend assoir la reconnaissance de l’économie sociale, en initiant entre autres de nouveaux travaux sur la collecte de données de nature quantitative et qualitative, portant sur l’implantation du modèle à l’échelle européenne.
« Il faut voir ce plan d’action comme une première mouture, qui est vouée à être enrichie avec les acteurs de terrain, qui doivent y voir une réelle opportunité de développement. La balle est dans notre camp », conclut Victor.
Dans l’ensemble, la commission annonce un budget en hausse, sans toutefois donner de montant exact, sachant qu’elle a dépensé 2,5 milliards en faveur de l’économie sociale de 2014 à 2020. Aussi, si les actions sont clairement définies pour les deux prochaines années, on attend encore une lecture claire de la suite.
Quoi qu’il en soit, ce plan d’actions soigné est une bonne nouvelle pour l’économie sociale, et devrait à terme contribuer à une plus grande reconnaissance et à un potentiel changement d’échelle en hausse.