Economie de la fonctionnalité : privilégier l’usage à la propriété

Privilégier l’usage à la propriété : ce qui paraît du bon sens n’est pourtant pas très ancré dans nos réalités, enfants du capitalisme que nous sommes, bien malgré nous. Qui n’a pas chez lui du matériel cher payé qu’il n’utilise que très rarement ? Paradigme économique à part entière, l’économie de la fonctionnalité s’inscrit dans une perspective durable et raisonnée qui extrait la consommation d’un bien de sa possession, et fonde une nouvelle relation de coopération entre utilisateurs et producteurs/propriétaires. Il est dès lors assez logique de voir les acteurs de l’économie sociale s’en approprier le modèle.

A Bruxelles, c’est notamment le cas de Remorquable, une asbl qui met à disposition des remorques pour vélo. Créée en 2018 par des étudiants de l’ULB, l’association a rapidement bénéficié de différents subsides pour se lancer et compte actuellement une équipe de 7 personnes. ‘La volonté de Remorquable est de stimuler la mobilité douce et la décarbonisation de notre capitale par une utilisation plus complète du vélo, dont le transport de biens par des particuliers ou organisations’ explique Pema, l’une des fondatrices. ‘Nous mettons ainsi à disposition une trentaine de remorques, que nous avons en majeure partie construites, et qui sont réparties dans 11 antennes sur la Région de Bruxelles-Capitale’.

Pour en bénéficier, le client doit d’abord devenir membre, comme dans une bibliothèque (ou la fameuse outilthèque de Tournevie, dont elle s’inspire). Il paie ensuite pour un mois ou un an, à un tarif standard, réduit ou solidaire. Les remorques se louent par journée. ‘Notre enjeu actuel est de pérenniser l’emploi et susciter davantage d’adhésions. Nous touchons les cyclistes convaincus mais il y a lieu d’engager d’autres publics, d’autant qu’on se rend vite compte après la 1^e utilisation qu’il est assez facile de conduire ce type de remorque’. Pour se faire connaître, Remorquable développe une offre complémentaire… sur remorque : ludothèque, atelier de réparation vélo, four à pizzas, chambre noire pour développement photo. Membre du consortium cAIRgo Bike qui compte également Urbike et Pro Vélo dans ses rangs, l’asbl table sur une évolution positive de l’infrastructure routière bruxelloise, où le deux roues gagne du terrain.

1 vélo pour dix ans… et bien d’autres choses au catalogue
Parmi les autres bons élèves de la classe « EF », Brillo participe au projet ‘Un vélo pour 10 ans’, lancé il y a une dizaine d’années en Wallonie par l’asbl L’heureux cyclage, et l’héberge dans ses ateliers-vélo de Charleroi et Auvelais. ‘Le principe est de ne plus acheter de vélo mais de passer un contrat long terme qui va permettre à l’enfant de grandir avec les différents cycles adéquats’ développe Samuel, directeur de l’entreprise d’insertion. ‘Nous remettons en état des vélos utilisés, qui représentent un gisement assez conséquent, et leur donnons une seconde vie destinée à transmettre le goût du vélo à nos têtes blondes, de 3-4 à 13-14 ans. Pour 65€ au démarrage et 15€ par changement (3 à 4), la bicyclette suit donc l’âge de l’enfant et est transmise à d’autres, pour autant qu’il en ait été pris soin’.

Le projet génère quant à lui chez Brillo une cinquantaine de contrats par an et est un des services de l’atelier-vélo. Il touche à la fois un public précarisé et des personnes sensibles à la récup’. Financé à l’échelon wallon à ses débuts, il cherche actuellement un second souffle régional et des financements qui pourraient lui permettre de gagner en visibilité et relancer le réseau initial sur tout le territoire. Au travers du futur plan Wallonie cyclable ?

Chez Usitoo aussi, on aspire à reprendre du poil de la bête. C’est que la crise covid a laissé des traces auprès de la coopérative bruxelloise et de son catalogue en ligne d’objets à louer. ‘Le manque de clarté dans les normes sanitaires a clairement affecté notre activité’ précise Xavier, administrateur-délégué. ‘Nous n’avons su maintenir les 3 emplois présents et sommes revenus à un fonctionnement bénévole. On sent néanmoins une reprise depuis mars’. 

Réfléchi dès 2012 par Xavier et un collègue spécialisé en bilan carbone, Usitoo est lauréat de l’appel à projets bruxellois ‘Be circular’ en 2016, créé en 2017, et valide sa 1^e commande en mars 2018. ‘On trouve actuellement sur notre site web près de 500 objets de seconde main dans des domaines aussi variés que le bricolage, le jardinage, le voyage, l’organisation de petits événements. Une fois la commande passée, ceux-ci sont à retirer dans un de nos 50 points-relais pour un prix 15 fois inférieur à ce qu’en serait le prix d’achat neuf, et ce sans caution’. 

Avec 1200 usagers, Usitoo démontre qu’il y a un intérêt réel pour la formule. ‘Si on se penche sur le profil sociologique des utilisateurs du service, on constate que 65% d’entre eux sont des femmes, ce qui semble confirmer une composante de valeurs fortes. On touche bien entendu des convaincu-es de l’économie circulaire, mais aussi la génération des ‘no-owners’, ceux qui ne veulent pas posséder, et enfin celles et ceux qui font attention à leur portefeuille’. Avec un break even (càd un équilibre financier) à 5000 bénéficiaires, la coopérative a néanmoins encore du pain sur la planche pour pouvoir ré-engager et se stabiliser. ‘Le changement des comportements est clairement un processus qui demande du temps, ce qui est partagé par les autres acteurs qui proposent un service similaire. Dans l’intervalle, nous pouvons compter sur un intérêt grandissant des pouvoirs publics, dont la Ville de Bruxelles et la commune de Watermael-Boitsfort qui s’apprêtent à nous soutenir. C’est encourageant’.

Et l’homo economicus de devenir un homo usus pour le plus grand bien de l’humanité.