Mais de quoi parlons-nous ? De la déclaration de politique régionale wallonne bien sûr ! Son petit nom est : avoir le courage de changer pour que l’avenir s’éclaire. Elle mesure 117 pages de petits caractères bien serrés. La législature 2024-2029 est donc lancée pour le MR et les Engagés.
Que contient-elle ?
La première volonté affichée de cette DPR est de faire table rase du passé. « Toutes les politiques seront évaluées », « il y a un souhait de nouveau pacte social », « l’avenir pourra s’éclairer pour les Wallonnes et les Wallons si nous osons ensemble être disruptifs ». « Nous devrons adapter notre logiciel ». A la lecture de l’accord, nous pouvons avoir l’impression qu’il y a une volonté de changer des pratiques enkystées depuis de nombreuses années en Wallonie. Or les deux partenaires (soit l’un, soit l’autre, soit ensemble) sont au pouvoir depuis la création de la Région wallonne.
Il y a aussi des thématiques prioritaires, notamment : la bonne gestion, l’économie, l’emploi et la fiscalité. L’emploi y est décrit comme un vecteur d’émancipation, de socialisation, de citoyenneté. Les taxes, elles, étouffent la Wallonie. « L’avenir pourra s’éclairer si le Gouvernement veille à des politiques du cœur et de la générosité, mais accompagnées de politiques du sens et de la responsabilité ».
La DPR contient aussi son lot d’expression et de formules choc que nous apprenons à utiliser :
- Gold plating : littéralement « plaqué or », le gold plating est l’action d’aller au-delà des réglementations internationales. La volonté affichée de la majorité est d’appliquer la loi, toute la loi, mais rien que la loi. Pour éviter la distorsion de concurrence avec les autres pays européens.
- Only once : qui fait référence à l’idée que si vous devez fournir un document à une administration, il ne faudra le fournir qu’une seule fois, ou zéro s’ils y ont accès par ailleurs.
- Choc de simplification : fait référence à la volonté d’accélérer la simplification administrative.
Le casting
Nous pouvons observer une répartition genrée des compétences, plutôt des hommes pour les gros ministères de la RW, plutôt des femmes pour les gros ministères de la FWB.
Ce gouvernement donne l’impression de renouveau, de mettre en avant de nouveaux visages, et pourtant il y a de l’expérience. De nouveaux visages, il y en a aux Engagés puisqu’aucun d’entre eux n’a déjà été ministre. Il y a moins de nouveaux visages au MR, Jacqueline Galant a été éphémère ministre fédérale lors de la Suédoise. Adrien Dolimont est ministre du budget sortant et Pierre-Yves Jeholet a été ministre emploi et économie en 2017-2019, et ministre-président de la FWB sur la dernière législature.
Il y a aussi des lapins blancs, terme qui désigne des personnes issues de la société civile et que les présidents de partis désignent par surprise, un peu comme des lapins blancs que des magiciens tirent de leur chapeau. Yves Coppieters : un des experts médiatiques du Covid, élu en RW et directement propulsé ministre d’un gros portefeuille qui comprend, entre autres, l’Action sociale, la Santé et l’Economie sociale. Anne-Catherine Dalcq (MR) : Vice-présidente de la fédération des jeunes agriculteurs (FJA) lors du mouvement social des agriculteurs et Cécile Neven (MR) : cheffe de l’union wallonne des entreprises (UWE).
Finalement, le président du MR nous avait promis de diriger la Wallonie comme des ingénieurs, il a tenu promesse puisqu’il en a nommé trois : Adrien Dolimont (MR) : ingénieur en mécanique, Cécile Neven (MR) : ingénieure agronome, et Anne-Catherine Dalcq (MR) : ingénieure (et même docteure) agronome.
Et dans tout ça : quelles sont les nouvelles pour l’ES ?
Commençons par une bonne nouvelle : l’économie sociale a son propre sous-titre au sein du chapitre économie et dispose d’un paragraphe de bonne taille, qui se veut soutenant :
La Wallonie encouragera l’économie sociale via la mise en œuvre d’une stratégie concertée de développement, de soutien et de valorisation de l’économie sociale.
Afin de faciliter l’émergence de nouveaux projets entrepreneuriaux, l’amélioration de l’accès au financement se basera sur des critères de sélection adaptés et d’indicateurs élargis. L’accès à l’information sera fait par des guichets uniques présents sur tout le territoire wallon.
Le Gouvernement soutiendra plus particulièrement le développement des filières courtes contribuant ainsi au développement local (économique et emplois) de la Wallonie mais aussi la création et la croissance d’entreprises sociales, répondant aux défis de la transition.
Le Gouvernement favorisera les collaborations et les passerelles entre les acteurs de l’économie sociale et ceux de l’économie classique.
A cet égard, les coopératives d’emploi et les entreprises partagées offrent à des entrepreneurs un accompagnement économique et social, assorti d’un hébergement administratif. Le Gouvernement entend assouplir le cadre légal pour ces entreprises pour permettre notamment l’accès aux aides économiques et aux financements ainsi que la simplification de démarches administratives.
On y lit que l’économie sociale disposera d’un plan de développement, qui prendra donc le relais de la stratégie Alternativ’ES Wallonia du précédent Gouvernement. C’est une bonne nouvelle, mais à interpréter avec précaution, car on ne sait évidemment pas quelle sera son ambition.
Autre bonne nouvelle, c’est la toute première fois que l’économie sociale est reprise comme compétence dans l’intitulé d’un Ministre wallon, en l’occurrence Yves Coppieters, qui aura huit autres compétences à gérer, dont la santé et l’action sociale. On peut s’en réjouir, mais l’économie et l’emploi sont chez Pierre-Yves Jeholet, ce qui ne facilitera pas les négociations. Rappelons que la précédente Ministre en charge de l’ES, Christie Morreale, détenait le portefeuille de l’emploi, et ses prédécesseurs l’économie. Il conviendra par ailleurs de s’assurer que les soutiens prévus aux PME et TP seront aussi accessibles aux asbl marchandes de l’ES.
Aussi, on peut s’inquiéter du volume du portefeuille de compétences de Coppieters. Aux acteurs de terrain donc de convaincre son cabinet de l’importance et de la transversalité de l’économie sociale dans le paysage wallon.
Si, globalement, la DPR reste relativement généraliste et floue dans son application, certaines thématiques mériteront toute notre attention dans les prochains mois. A commencer par le volet insertion. Le Gouvernement a clairement montré sa volonté de rationaliser les dispositifs de remise à l’emploi. Sont ici particulièrement concernés les CISP, qui seront notamment évalués sur leur « efficacité ». Quand on se souvient que le MR avait comparé le taux de réinsertion des CISP avec l’IFAPME, sans prendre en considération les différences de leur public cible, il conviendra d’être vigilant.
Aussi, il est prévu que le budget APE soit transféré aux ministres fonctionnels, dans un souci de simplification. Sur le fond c’est une bonne mesure, plus lisible et qui peut amener de la cohérence sectorielle. La question est de savoir comment sera réalisé ce transfert et s’il y aura des pertes collatérales. L’indexation des APE non marchands est garantie, contrairement à ceux du secteur marchand.
Au niveau des Article 60/61, le GW prévoit une évaluation dans les deux ans. Difficile à ce stade de prédire quelles en seront les répercussions.
Outre un soutien au circuit court dans l’alimentation, le GW souhaite également renforcer le secteur de l’économie circulaire, pour rencontrer les objectifs bas carbone de l’Union européenne, sans pour autant citer les entreprises d’économie sociale comme moteur de cette transition. L’économie sociale est en revanche citée dans le volet logement, avec les coopératives immobilières.
Citons ensuite l’élargissement du tax shelter, relatif à l’investissement citoyen. En l’état, ses conditions sont assez contraignantes, limitées principalement à la création d’entreprises. La volonté est de l’appliquer à un spectre plus large de situations, ce qui pourrait être favorable au changement d’échelle des coopératives, notamment.
Autre point important, outre le retour de la charte associative, et toujours dans un souci de simplification, la volonté d’accorder une reconnaissance renouvelable tous les cinq ans pour les asbl subsidiées avec des subventions facultatives, plutôt qu’annuelle. L’enveloppe globale des subsides facultatifs sera en revanche revue à la baisse, une partie des subsides sera supprimée sur base d’une évaluation dont les contours sont encore inconnus à ce stade. A ce stade, gardons simplement à l’esprit que la volonté est à l’économie…
Notons enfin la volonté de réviser l’arrêté d’exécution des ETA, avec pour ambition d’élargir le spectre des personnes qui pourront intégrer une des 55 structures concernées. Ces dernières disposeront en outre d’un budget dédié à la formation interne, et d’un budget dédié à des projets pilotes relatifs à la réinsertion de personnes éloignées de l’emploi pour cause de maladie longue durée ou de maladie chronique. Un bel enjeu quand on sait que le cout des malades de longue durée a largement dépassé le coût des travailleurs sans emploi en Belgique.
En conclusion
Vous l’aurez compris, il y a du bon et du moins bon dans cette DPR pour l’économie sociale. Dans les grandes lignes, l’économie sociale peut entrevoir une politique de développement soutenante et ambitieuse. Avec l’assurance d’une nouvelle stratégie en faveur de l’économie sociale, son écosystème peut en tous les cas se réjouir d’être considéré comme un partenaire du nouveau gouvernement. Tout en restant attentif à faire respecter les principes de l’économie sociale et les valeurs que portent ses acteurs.
Lien vers la DPR.