Bruno Colmant, est-il réaliste de penser que la transition peut s’opérer dans le système capitalistique ? Ne devons-nous pas quitter des champs conceptuels et lexicaux dominés par les termes ‘croissance’ et autres ‘PIB’ si nous voulons assumer le changement ?
C’est une large question… Le dérapage, notamment environnemental, auquel nous assistons n’est pas tellement le fruit du capitalisme traditionnel, au sens rhénan du terme, mais bien celui sur lequel on a greffé l’économie de marché. C’est celui-ci qui a conduit à une financiarisation généralisée, et à une recherche à la fois narcissique, productiviste et consumériste tout à fait stupéfiante et déraisonnable.
Le capitalisme d’après-guerre, qui a muté dans les années 70’, permettait d’aligner les intérêts tant du travail que du capital, dans une notion de solidarité. Ça a fortement changé sous l’influence de l’école quantitative de Friedman, jusqu’au basculement opéré par les gouvernements Reagan et Thatcher, et l’arrivée de situations monopolistiques sur un marché jusque-là atomisé. Ce sont des événements majeurs du XXe siècle, qu’il ne faut pas sous-estimer.
La situation actuelle est quant à elle très complexe : les grandes entreprises produisent trop et suscitent une demande qui devient également trop élevée. Sortir du système me semble utopique. Je crois davantage à des comportements individuels raisonnés, et à des impulsions politiques qui seraient de nature à tempérer les choses ou demander des compensations aux grandes entreprises en matière de transition climatique.
Une comptabilité environnementale serait à cet égard un outil pertinent à mettre en place, de manière à pouvoir isoler les actions destructrices et bénéfiques des agents économiques, leur empreinte globale et pas seulement CO2. Avec les nécessaires sanctions à la clé.
Elle permettrait en outre de limiter les attentes de rendement des actionnaires, tout comme nous-citoyens allons également devoir moins bien vivre. J’aime beaucoup l’adage flamand ‘meten is weten’ : mesurer, c’est savoir, et ça permet d’objectiver les choses.
Dès lors, quelles autres règles du jeu changer ou réinventer ? Avec quels acteurs et quels rôles ? Quels en seraient les moteurs d’efficacité ?
La solution se trouve selon moi dans une réhabilitation de l’Etat, qui a été finalement été réduit à un compensateur d’inégalités, sans avoir pu prévoir le financement de ses engagements sociaux. Je prône pour une approche partenariale entre l’Etat et les grandes entreprises. Il faut qu’il puisse y avoir des dialogues à hauteur d’hommes, droit dans les yeux, sur les questions environnementales et sociales. Dans les années 60-70, ce dialogue existait dans tous les domaines de l’économie, par exemple dans le secteur de l’énergie qui s’est vu par la suite lui aussi démanteler à l’appel des capitaux étrangers.
Il nous manque un Etat stratège et visionnaire. Il nous faut retrouver de la tempérance, et des rapports de force posés et sains entre les différents intervenants. C’est d’autant plus important dans un pays comme le nôtre, dont la spécificité est de former une économie ouverte, une zone de transit, sans industries de pointe mis à part quelques exceptions en Flandres.