Bordeaux GSEF 2025 : Un autre monde est déjà là !

Le Forum mondial de l’Économie Sociale et Solidaire 2025 s’est ouvert sur une plénière marquée par un contexte global sous tension et en polycrises (plans d’austérité, explosion des inégalités,  tensions géopolitiques, dérèglement climatique…), mais également par l’absence de plusieurs délégations africaines, dont le refus des visas interpelle et indigne. Dans les discours prononcés, l’économie sociale et solidaire « combat ces dérives », est « un acte de résistance » et représente un « rempart contre l’obscurantisme ». Un vocabulaire qui témoigne d’un esprit de lutte et de la nécessité d’agir face aux crises, mais qui a rapidement été contrebalancé par les orateurs en un appel vibrant à l’humanité. L’ES, elle-même, qui « humanise l’économie et l’irrigue de ses valeurs », porte un projet de société à vocation universelle. Elle « est une économie de la paix » et des « responsabilités inédites » lui en incombent, notamment pour retisser le lien social, protéger le vivant et renforcer la démocratie au quotidien.

Ainsi a été lancée la 7^e édition du Forum, qui a mobilisé plus que jamais auparavant : 10.800 participants représentants plus de 100 nationalités différentes, 1200 villes et 152 gouvernements locaux. Une édition foisonnante, aussi bien dans son affluence qu’en termes de contenus, avec trois sites proposant chacun un programme propre. Le Palais 2 l’Atlantique, centre névralgique de l’événement, a accueilli 13 plénières, 169 tables rondes thématiques, ainsi que des expositions, stands et espaces de networking. Le Hangar 14, situé au bord de la Garonne, était lui un espace de découverte de l’économie sociale ouvert au grand public avec un marché engagé, des expositions, conférences et animations. Et enfin la Cité Bleue, le quartier général dédié à la jeunesse, avec un programme éclectique qui leur a permis de s’engager et de coconstruire des pistes pour un futur solidaire.

La Wallonie, petit territoire au grand rayonnement

Ce foisonnement s’est aussi incarné dans la délégation belge francophone: plus de 100 Wallons et Bruxellois – acteurs de terrain, organisations, académiques, étudiants, représentants institutionnels, dont Yves Coppieters, le Ministre wallon de l’économie sociale – ont fait le déplacement jusqu’à Bordeaux. Leur présence s’est traduite par plus de vingt interventions dans les tables rondes et plénières, signe d’un écosystème qui, sur un territoire modeste en taille, parvient à rassembler une diversité impressionnante d’initiatives et d’expertises

Lors de la table ronde Supporting the development of the social economy as a driver for growth, cette vitalité s’est inscrite dans un panorama européen contrasté. La Commission européenne a rappelé le cadre dans lequel elle soutient l’économie sociale: le plan d’action lancé en 2021, son évaluation prévue pour mi-2026 et le dispositif d’Appui technique (IAT) mis à disposition des États membres. Ce dernier s’inscrit dans le cadre de la mise en application de la recommandation du Conseil de l’Union européenne de 2023 sur l’ES qui les encourage, notamment, à mettre en œuvre de stratégies de développement de l’ES.

Autour de la table, les situations différaient fortement: le Portugal avec un secteur très large mais peu coordonné, la France dotée d’un cadre juridique fort mais pas encore de vision commune, la Croatie où l’ES reste largement invisible, faute de données et de reconnaissance officielle. La Wallonie occupe une place singulière dans ce projet multi-pays : elle est la seule région à participer au dispositif IAT et elle disposait déjà d’une stratégie solide, Alternativ’ES, dont les résultats sont tangibles et reconnus par les autres partenaires de l’IAT. L’enjeu est désormais pour elle de « renforcer la transversalité de l’ES dans les politiques économiques », et de se doter d’indicateurs, d’outils de suivi et d’évaluation, qui manquaient jusque ici.

Un autre monde désiré par les Européens

Alors que Bordeaux accueillait l’économie sociale mondiale, la Commission européenne dévoilait les résultats d’un Eurobaromètre sur le sujet. L’étude montre que la connaissance de l’économie sociale varie beaucoup à travers l’UE. En effet, 56 % des citoyens de l’Union en ont entendu parler, avec des chiffres allant de 82 % à Malte à 34 % en Grèce. Parmi eux, seuls 12 % la connaissent « très bien » et 34 % l’expliquent « assez bien ».

Au-delà de la connaissance, l’engagement est bien là. Une fois qu’une définition de l’économie sociale leur est donnée, un Européen sur deux affirme avoir participé à une activité de l’ES ces cinq dernières années, que ce soit en tant que volontaire, donateur ou client. Et surtout, l’adhésion aux valeurs est massive : 75 % des citoyens de l’Union reconnaissent l’importance de l’ES pour le bien-être de notre société, et pas moins de 93 % estiment que les entreprises devraient être guidées par les valeurs de l’économie sociale.

Ces chiffres soulignent la convergence entre les valeurs de l’ES et l’aspiration des citoyens, et ont trouvé un écho dans les trois déclarations finales du Forum. Le GSEF a adopté, en plus de sa déclaration Feuille de route politique 2025-2027, une Déclaration pour une paix durable, réaffirmant l’ES comme une « économie de la paix » et une réponse essentielle à la prévention des conflits et à la réconciliation.  La Déclaration internationale de la jeunesse pour l’ESS a, quant à elle, donné une résonance particulière à la séance de clôture. Près d’une centaine de jeunes représentants tous les continents ont pris la parole sur scène pour exprimer leurs réalités, leurs engagements, leurs propositions et leurs espoirs. Un moment fort, rempli d’émotions, qui a souligné l’importance d’intégrer davantage la jeunesse, la « force motrice » nécessaire à l’ES pour relever les défis de demain.

Cap sur Maricá

Ce forum a rendu tangible toute la force et la détermination d’un mouvement qui veut replacer l’humain et le vivant au cœur de l’économie. Ce forum a montré que, partout, les initiatives foisonnent – que l’économie sociale soit pleinement reconnue ou encore en quête de légitimité – et que la jeunesse est prête à prendre la relève, à bousculer les cadres existants et à aller plus loin.

La prochaine édition du Forum du GSEF aura lieu de l’autre côté de l’océan Atlantique, dans la ville de Maricá au Brésil. Maricá, ville où économie locale et sociale ne font qu’un, et où près de 20 % de la circulation monétaire se fait en monnaie locale. Une édition qui promet, elle aussi, de belles découvertes et une nouvelle démonstration que l’économie sociale est une voie d’avenir