Aborder la manière dont tout un chacun conçoit ses déplacements, et donc sa consommation, invite à penser d’autres modèles de mobilité autour de la question de la transformation sociale et non uniquement celle de l’innovation technologique. Changer les habitudes de mobilité et prendre conscience des comportements sous-jacents qui y sont liés permet de se concentrer sur les besoins essentiels. Besoins qui sont à différencier de la nécessité de déplacement. Que disent les comportements de déplacement de nos besoins ? Quelles sont les fonctions sociales de la mobilité ?
En nous basant sur la dépendance à la voiture, comme antichambre de pulsions de mobilité, nous aborderons dans un premier temps l’imprégnation de la voiture dans l’imaginaire collectif. Il s’agira d’identifier sa charge symbolique dans les comportements et habitudes de mobilité. Dans un second temps, nous nous intéresserons à la mobilité cyclo et plus précisément aux transformations qu’elle pourrait induire. Enfin, au travers des témoignages de deux coopératives actives dans la cyclo-logistique, Le Coursier wallon et Dioxyde de Gambettes, nous nous arrêterons sur le secteur du transport des biens de consommation. Ces deux expériences d’économie sociale nous permettront d’évoquer la transformation du monde du transport sujet à l’ubérisation issue d’une certaine forme d’économie collaborative. Nous verrons en quoi les directions possibles et envisageables pour une autre mobilité ne sont pas si simples à appréhender.
On se sent si bien dans une voiture, vraiment ?
Définir une autre mobilité, ce ne sont pas seulement des choix politiques. C’est aussi s’extirper individuellement et collectivement d’une culture de la mobilité centrée sur la voiture. Bien plus qu’un moyen de transport, la voiture est en effet un objet d’une haute valeur symbolique. Elle concentre des valeurs et des émotions cristallisées dans des comportements et des pratiques auxquelles la population s’habitue. Peut-être plus encore que n’importe quel autre bien de consommation, son achat est le symbole de l’homme moderne, l’homo oeconomicus égocentré.
De fait, des études ont démontré le lien étroit entre l’achat d’une voiture et l’avantage socio-affectif escompté. Celle-ci procure plaisir, excitation, confort voire relaxation. Elle est perçue comme un prolongement de l’individu et symbolise une certaine réussite sociale. La voiture représente donc la liberté mais aussi l’épanouissement et l’expression de soi. Si ces considérations peuvent sembler évidentes, comment un objet peut-il à ce point éveiller des actes compulsifs ? Il convient de considérer le rôle important joué par la publicité dans notre rapport à l’automobile. Les publicitaires travaillent en effet continuellement les codes de consommation en associant la voiture à une série d’émotions fortes adaptée au contexte sociétal. Par exemple, une publicité des années 80 ou 90 présentait la voiture comme un objet technologique et évoluant dans un environnement futuriste ou sobre. Dès le début des années 2000, dans le sillage du Protocole du Kyoto et de l’organisation annuelle des Cop, les visuels publicitaires vont « se verduriser » avec des véhicules filmés en pleine nature. Malgré les contextes des époques, ces publicités soulignent constamment les références « au plaisir de conduire », à la sécurité ou au confort ainsi qu’au prestige. Les voitures demeurent associées à des normes et des valeurs profondément ancrées dans nos sociétés occidentales comme l’hédonisme et la réussite sociale.