En mars dernier, le ministre de la mobilité Georges Gilkinet affirmait dans la presse qu’« investir dans le rail aide à nous libérer des choix du passé ». Pourrions-nous en déduire alors que les politiques décidées ces dernières décennies seraient trop modestes en matière de mobilité des personnes ? De quels choix devrions-nous nous libérer afin de mieux répondre aux réalités vécues par la population ? Dans un premier article, nous avons présenté brièvement ces réalités et relevé quelques besoins primordiaux. Nous sommes notamment revenus sur les disparités territoriales urbaine et rurale. Plus globalement, la nécessité de se déplacer quotidiennement dans un environnement de services décentralisés et éloignés les uns des autres a également été soulignée. La question de l’espace est par conséquent un enjeu prépondérant dans le développement de nouvelles formes de mobilité, notamment pour les personnes les plus vulnérables. A l’obligation de mobilité s’ajoute aussi la fréquence et la durée. Les déplacements sont en effet nombreux du fait des multiples activités (travail, loisirs, soins, tourisme etc.) qui sont à réaliser rapidement pour bénéficier d’un temps raisonnable pour chacune de celles-ci. Ce rapport à l’espace combiné à celui du temps nous poussent par conséquent à préférer le moyen de locomotion le plus direct et le plus rapide. A savoir la voiture, quand on a la chance d’en disposer, qui représente de loin le mode de transport le plus utilisé.
Néanmoins, des initiatives existent dans le champ de l’économie sociale proposant des alternatives à la voiture. Celles-ci s’intègrent petitement aux politiques de mobilités des différents niveaux de pouvoir belges. Dans un premier temps, nous nous attarderons sur le modèle de mobilité préconisé par les politiques. Sans être exhaustif, nous questionnerons ce modèle au travers de deux témoignages d’acteur de la mobilité, la coopérative « La Locomobile » et Mpact asbl (anciennement Taxistop). Enfin, la relation entre les pouvoirs publics et l’économie sociale sera également illustrée à l’échelle européenne, et plus précisément française, dans le contexte de la libéralisation du réseau ferroviaire européen. Nous présenterons ici la création récente et singulière de Railcoop, première coopérative française active dans le rail. Par ces trois témoignages, nous relèverons trois tendances, parmi d’autres, de l’articulation entre le champ de l’économie sociale et le rôle de l’Etat. Tendances qui questionnent plus largement les pratiques de mobilité et de consommation.
Quel type de mobilité soutient l’État ?
La question mérite d’être posée dans un pays qui favorise grandement la voiture individuelle et dans le même temps investit dans des structures de mobilité alternative. De fait, à la lecture des derniers chiffres accessibles, le Fédéral et les Régions ont dépensé 10,926 milliards d’euro en 2019 pour la mobilité. S’agit-il d’investissements à la hauteur des ambitions notamment climatique et environnementale ? Les dépenses, ce sont des choix. Et ceux-ci résultent encore majoritairement de la dépendance aux véhicules à moteur thermique. De fait, les dépenses dans le trafic routier sont importantes et elles le sont encore plus si on tient compte du régime spécifique des voitures de société qui impacte fortement la politique de mobilité. En effet, celui-ci représente un manque à gagner annuel d’au moins 2,3 milliards d’euros du fait d’une particularité fiscale. A titre de comparaison, les travaux du RER auront coûté 3 milliards d’euros à la Belgique. L’addition est alors élevée si on ajoute cette perte au budget alloué annuellement au trafic routier. Au regard de ces chiffres, les sorties médiatiques de nos politiciens en faveur d’une mobilité durable paraissent subitement presque stériles.
D’autant que, au-delà de la dimension économique, le modèle de la voiture de société a aussi des répercussions sur le plan social à plus d’un titre. Premièrement, il témoigne de profondes inégalités en matière de mobilité. D’une part, pour en revenir sur le volet fiscal, le modèle est inéquitable car il bénéficie aux plus hauts revenus au travers d’une imposition favorable sur l’avantage en nature. Ce dont ne jouit pas le reste de la population. D’autre part, l’octroi d’une voiture de société ne concerne que très peu de gens sur l’ensemble du territoire. De fait, 650.000 véhicules sont répertoriés comme appartenant à une société. Deuxièmement, cette politique influence l’achat d’une deuxième voiture au sein des ménages favorisés par la « voiture salaire ». Elle promeut donc l’usage de la voiture individuelle auprès de l’ensemble de la population.
Cependant, à la lecture des multiples déclarations politiques régionales, l’intention du développement d’une mobilité dite durable est souvent citée en vue d’une sortie du modèle de la voiture individuelle. La Région wallonne souhaite par exemple augmenter l’usage du vélo en investissant dans les infrastructures. La Wallonie affiche donc d’énormes ambitions si bien qu’elle espère, d’ici 2030, une baisse de la part modale de la voiture de 83% à 60% sur l’ensemble des moyens de transport utilisés par trajet. Par ailleurs, la Région Wallonne envisage de continuer la concertation avec le Fédéral pour développer davantage l’offre ferroviaire afin de passer d’une utilisation de 9% à 15% en 2030. Les disparités territoriales sont également prises en compte notamment via l’appui à des transports collectifs en milieu rural. Les initiatives de bus de proximité et de taxi-social y sont particulièrement visées.