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Agribashing : ne soyons pas contre-productifs !

Conso

Entre les deux pôles que sont l’émergence de petites productions qui s’écoulent en circuits-courts d’une part et la tendance à la « ferme usine » d’autre part, de nombreuses initiatives existent. Elles doivent composer avec les verrouillages du système alimentaire mondialisé dont il n’est pas aisé de s’extraire, ce qui les rend parfois ambiguës. Si elles ne cochent pas toutes les « cases » (bio, circuit-court, local…), il faut veiller à éviter de les juger à l’emporte-pièce. Et comme un exemple concret vaut mieux qu'un long discours, on vous propose un focus sur l'industrie du lait avec la coopérative Faircoop !
  • [2020-12-20 // NB : vous avez été nombreux à réagir à cet article et nous vous en remercions ! Suite à certaines interrogations, nous avons pris soin de croiser nos sources, et apporté de mineures modifications au texte.]

    S’il est nécessaire de pointer l’agro-industrie qui tire les ficelles et renforce jour après jour une agriculture déshumanisée et mondialisée, émerge en même temps une certaine tendance à pointer les agriculteurs comme responsables des maux de systèmes alimentaires qui tournent au désastre écologique et sanitaire. On parle d’ « agribashing ». Même dans les filières dites « conventionnelles », toutes les pratiques ne sont pour autant pas à mettre dans le même panier. Et les responsabilités ne sont pas homogènes au sein des personnes qui font tourner ces filières : y coexistent des exploitants et des exploités ! Les marges de manœuvre des producteurs pour changer le système sont parfois très limitées. Si nous parlons de « transition » des systèmes alimentaires, c’est qu’il y a un état de départ. Faire comme s’il n’existait pas, en ne soutenant que les alternatives portées par des jeunes producteurs non issus du milieu agricole, ne permettra pas d’aboutir à la transition souhaitée.

    Ce propos est trop théorique ? Pour lui donner vie, parlons de lait ! Focus sur une coopérative à succès, Faircoop, que tout le monde connaît aujourd’hui via les briques de lait de la marque Fairebel, qu’elle écoule depuis maintenant 11 ans !

  • La filière lait : comment ça marche ?
    Un élément central pour comprendre la filière, c’est la nature du produit : le lait est un produit frais, qui ne peut donc pas se stocker. C’est tous les deux jours que le lait produit en ferme est collecté par une laiterie, qui fait le tour des chapelles. Cette dernière transforme le lait frais (en lait UHT, en poudre de lait, en beurre, en fromage…) et peut donc, elle, le stocker dans une certaine mesure. Chaque producteur est lié à une laiterie. Il lui garantit l’entièreté de sa production (une fraction peut être préservée pour de la vente directe, mais c’est marginal). C’est la condition ! Des laiteries, il n’en existe pas énormément. Une dizaine d’acteurs en Belgique, tout au plus. En Wallonie, 4 laiteries seulement collectent plus de 85% du lait. Étant donné la nature de l’activité de collecte, les laiteries n’agissent pas sur l’entièreté du territoire.

    Dès lors, à l’échelle de son territoire, chaque producteur n’a le choix qu’entre deux ou trois laiteries maximum. Pour en changer, il faut être sûr de son coup : on ne sera plus bienvenu dans la laiterie qu’on aura eu l’outrecuidance de quitter ! Le lien de dépendance à sa laiterie est trop souvent renforcé par le fait que cette dernière peut multiplier les casquettes : des investissements dans la machinerie nécessaire (salle de traite, …) sont réalisés par la laiterie et amortis via déductions dans la fiche de paie du producteur ; la vente de la matière première nécessaire (aliments,…) est opérée par la laiterie et déduite dans la fiche de paie.

    On le voit, le « pouvoir de marché » des producteurs est faible. Producteurs nombreux, laiteries peu nombreuses. C’est ce que les économistes appellent un « oligopole ». Cette situation est le fruit d’une concentration progressive des laiteries depuis les années 1970. Des fusions et acquisitions en cascades. Auparavant, des coopératives de laitiers maillaient le territoire. L’industrialisation de la filière s’est accompagnée de la recherche d’économies d’échelle. Pour les laiteries, il fallait investir dans des infrastructures coûteuses. S’adosser aux leaders du secteur semblait être aussi bien un moyen d’y parvenir qu’un gage de sécurité.

    Quand elles n’ont pas été rachetées par des groupes privés, les laiteries l’ont été par de grands groupes coopératifs. Et de passer de producteurs qui contrôlent leur coopérative à des coopératives qui contrôlent leurs producteurs. Comment, par exemple, faire entendre sa voix dans une coopérative internationale comme ARLA qui regroupe 13.000 producteurs sur 7 pays différents ? Entre croissance et dérives gestionnaires, ces coopératives se sont banalisées. Le documentaire Cash investigation « Produits laitiers : où va l’argent du beurre » illustre magnifiquement ce processus de banalisation en se penchant sur le cas de la coopérative Sodiaal en France : on y voit des profits qui s’évaporent dans une construction illisible faite d’une myriade de sociétés entremêlées, alors que certains producteurs associés ne trouvent pas d’autre issue que le suicide.

    Ce qui est en jeu, c’est purement et simplement la sécurité matérielle des producteurs. Combien sont-ils payés pour leur production ? Cela, ils l’apprennent entre le 10 et le 20 du mois suivant. Et c’est chaque fois différent. Il n’y a pas de prix garanti. Souvent pointée du doigt, il est important de noter que les laiteries sont toutefois elles-mêmes prises dans un jeu plus vaste qui les dépasse et contraint leur action : le grand monopoly du marché mondial. Pour faire un étau, il faut deux mâchoires. À la concentration des laiteries s’ajoute la mondialisation des échanges et donc des prix ! Si une fraction seulement de la production européenne est excédentaire et part donc à l’exportation, c’est le prix de 100% de la production qui est ajusté sur les cours mondiaux.

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  • Dans ce contexte, la concurrence est intenable avec la production de pays comme la Nouvelle-Zélande ou l’Argentine qui, jouissant de données géoclimatiques favorables et n’ayant pas peur de virer dans la « ferme usine », tirent les prix mondiaux vers le bas. C’est le principe du commerce international : à chaque pays de se spécialiser dans les productions pour lesquelles il a un « avantage comparatif ». À la Nouvelle-Zélande le lait, à la Belgique la patate ! Dans ce contexte mondialisé, la surproduction aggrave le problème de la baisse des prix. C’est pourtant la voie qu’a décidé de prendre l’Union européenne.

    En 1984, pour endiguer la surproduction, l’Union européenne mettait en place la politique des « quotas laitiers », des droits de produire, qui administraient les volumes produits en Europe permettait ainsi de réguler les marchés pour stabiliser les prix. Rattrapée par une idéologie néolibérale qui veut que le libre-marché mondial soit bon à prendre en toute circonstance, l’Union européenne a progressivement supprimé ce régime des quotas laitiers à partir de 2003. En 2003 est signée la suppression des prix administrés (ce qui avantage les firmes agro-alimentaires qui peuvent dorénavant s’approvisionner au prix du marché mondial), remplacés par un système d’aide directe forfaitaire découplée de la production (aide à l’hectare, ce qui favorise les gros et pousse à la concentration des grandes fermes), ainsi qu’une première augmentation des quotas.

    En 2008 est signée une augmentation progressive des quotas jusqu’à leur suppression définitive en 2015. Entre 2007 et 2019, la production européenne a augmenté de près de 20%. Les exportations européennes ont bondi de 65% sur la même période. En 2019, l’UE exportait ainsi 14% de sa production. Et nous n’exportons pas que nos bons fromages… En 2019, L’ONG SOS Faim pointait, par exemple, dans sa campagne « N’exportons pas nos problèmes » l’exportation vers l’Afrique de poudre de lait (ré-engraissée à… l’huile de palme !), aux conséquences dramatiques sur la capacité de survie des filières locales.

    Les vannes ouvertes, chaque producteur est tenté de produire plus, mais souffre de la surproduction globale à travers une chute structurelle des prix. De manière générale, l’ouverture dérégulée aux marchés mondiaux a rendu les prix beaucoup plus instables : les revenus des producteurs laitiers belges dépendent désormais de la météo en Nouvelle-Zélande ou de l’état de la demande chinoise. Depuis une dizaine d’année, les prix sont structurellement trop bas pour permettre aux producteurs laitiers d’en vivre. Ces derniers subissent les fluctuations du marché sans grand moyen d’action. Le prix du lait oscille autour de 0,35€ du litre. Tout juste de quoi payer les frais de production. Pour se dégager un salaire, il faudrait compter 0,45€ par litre.

    Alors, comment fait-on ? En réalité, on ne fait pas vraiment… Faut-il rappeler les taux de suicide complètement anormaux chez les producteurs laitiers ?! Tout arrêter n’est pas une option. Outre la volonté de pouvoir persévérer dans le métier choisi, des investissements très lourds ont été faits. Il faut les amortir. Même en vendant à perte, il est plus rationnel de continuer la production. Pour le reste il faut s’en remettre à la solidarité familiale, à la pluriactivité (l’autre membre du couple qui travaille ailleurs, diversification des activités de la ferme, …).

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  • Quand on est propriétaire de ses terres, on peut se mettre à les revendre pour survivre, parfois directement à des entreprises agricoles auprès desquelles on est endetté, en guise de régularisation de dette. De son côté, l’agro-industrie planche sur sa propre solution : la contractualisation. C’est-à-dire une intégration totale des producteurs à une industrie qui agit en amont et en aval de la production, faisant perdre aux producteurs le peu d’indépendance qu’il leur restait. Ces derniers sont alors sommés de suivre des plans d’élevage déterminés pour eux et perdent tout contrôle sur leur commercialisation, tout en préservant un statut d’indépendant et assumant donc les risques liés à la production.

    Dans ce contexte, il va sans dire que ces fermes n’ont pas de repreneurs. Peut alors se poursuivre la tendance de fond de concentration des exploitations : agrandissement des cheptels, des installations et des investissements, industrialisation de la production (et son lot d’effets collatéraux, environnementaux, sociaux et sanitaires). En Wallonie, on est passé de 13.000 exploitations laitières en 1990 à 3.500 en 2017, soit une division par 4. Et la tendance se poursuit. Si les exploitations grossissent, elles restent très petites par rapport aux « fermes usines » qui sévissent sur les marchés mondiaux. La course-poursuite aux économies d’échelle est la base de l’insertion dans un secteur désormais mondialisé.

    2009 – Une nouvelle marque dans les rayons : Fairebel
    C’est dans le contexte de la crise du lait de 2009 que naît la coopérative Faircoop. Le prix du lait est tombé à un niveau historiquement bas. La conjonction d’une production mondiale en forte hausse par rapport aux deux années précédentes et d’un effondrement de la demande chinoise (suite à une crise sanitaire) fait chuter le prix du lait à 0,18€ le litre. Les frais de production (hors rémunération du travail !) en Wallonie s’élèvent en moyenne à 0,33€ le litre. Il n’est pas difficile de comprendre que l’équation est intenable.

  • © Crise du lait en 2009
    © Crise du lait en 2009
  • Des producteurs déclenchent une « grève du lait » à l’échelle européenne, à laquelle participent quelques 40.000 éleveurs ! On continue à produire (il faut traire, sans quoi la lactation de la vache se stoppe), mais on ne vend plus le lait, on l’épand ! Solution du désespoir, c’est alors la seule manière de se faire entendre. En Wallonie, ces actions sont coordonnées par le MIG (Milcherzeuger Interessengemeinschaft, groupement d’intérêt de producteurs laitiers belges). Les épandages sont médiatisés. Les 3 millions de litres de lait déversés à Ciney le 16 septembre 2009 marquent les esprits. Les images sont fortes et percolent dans l’opinion public. Si l’Europe reste sourde, les consommateurs interpellent les producteurs : « que peut-on faire pour vous aider ? ». La réponse n’est pas simple. Leur dire de ne pas acheter le lait le moins cher en grande surface n’aurait en rien servi les laitiers. Il n’y avait à ce stade pas de moyen direct pour soutenir les éleveurs par un acte d’achat (à moins d’acheter du lait cru à la ferme, option peu généralisable).

    C’est ainsi que naît la coopérative Faircoop. Sur le modèle du « Fair Milk Programme » plébiscité par le European Milk Board (EMB), dont le MIG est membre, il s’agit de créer une marque détenue par les producteurs laitiers et sous laquelle sera commercialisé du lait 0,10€ plus cher que le prix du marché, en soutien aux producteurs membres. En fin d’année, les recettes bénéficiaires sont réparties entre les membres. Une division par personne (selon le nombre de parts détenues, qui est plafonné) et non selon les volumes produits, ce qui rend l’initiative plus intéressante pour les petits producteurs que pour les gros. Mises sous pression par les tracteurs des éleveurs devant les centres de distribution, et par les consommateurs sensibilisés à la cause des éleveurs, les enseignes de la grande distribution acceptent de nouer des contrats avec Faircoop. Quelques mois plus tard, les cartons de lait demi-écrémé Fairebel peuplent les rayons de supermarchés.

    Onze ans plus tard, la marque Fairebel est un succès commercial. 10 millions de litres de lait vendu par an et plusieurs produits ajoutés à la gamme (glaces, lait chocolaté, beurre …). Plus récemment (été 2020), la coopérative s’est étendue aux fruits et à la viande. Faircoop compte 550 producteurs coopérateurs et a ouvert en 2015 le capital aux consommateurs qui souhaitent renforcer leur soutien (environ 1300 consommateurs coopérateurs).

    Pas très radical, Faircoop ?
    Très vite, des critiques retentissent par rapport à l’initiative Faircoop. En mai 2010, le CRIOC dépose une plainte contre le lait Fairebel, que l’organisation accuse de tromper le client sur la marchandise. La presse qui l’encensait la veille commence à pointer Faicoop du doigt. Deux constats motivent ces réactions. Le lait que l’on retrouve dans les cartons Fairebel n’est pas celui produit par les producteurs coopérateurs de Faircoop. Pire, c’est du lait luxembourgeois qui vient en droite ligne de la laiterie Luxlait. Aujourd’hui encore, ces éléments motivent des a prioris négatifs sur Fairebel chez certains acteurs des circuits-courts. Si ce n’est pas leur lait, les laitiers auraient-ils tout aussi bien pu commercialiser des calendriers ou du massepain ? Alors : supercherie ? Ou c’est plus complexe que ça ?

    C’est plus complexe que ça ! À première vue, c’est vrai qu’il y a de quoi se poser des questions. Mais pour comprendre l’intérêt de la démarche, il faut être prêt à ne pas se limiter aux premières vues. Premièrement, la commercialisation de lait Fairebel doit être comprise dans un contexte propre, celui d’un secteur du lait verrouillé. Ensuite, il est inadéquat de limiter Faircoop à son projet commercial Fairebel.

    Si, au lancement du projet, la grande distribution accède rapidement aux demandes de Faircoop, ce n’est pas le cas des laiteries belges. Pour les représentants de Faircoop que nous avons rencontrés, le constat est clair : aucune ne voulait traiter avec Faircoop en 2009, aucune ne souhaitait lui vendre du lait pour être commercialisé sous une marque aux mains des producteurs. Luxlait était dès lors une solution de repli, à laquelle la coopérative est ensuite restée loyale au fil des années et des propositions ultérieures de laiteries belges à mesure que Faircoop grandissait. Du côté des laiteries, on s’offusque du discours de Faircoop, faisant valoir le fait que des négociations ont eu lieu mais que Faircoop a préféré y mettre fin et travailler avec Luxlait, qui lui offrait de meilleurs prix en rognant sur ses marges dans une mesure que les laiteries belges ne pouvaient pas suivre. Nous n’étions pas à la table des négociations pour tirer le fin mot de l’histoire. Toujours est-il que, très rapidement, des accords ont été passés avec Luxlait pour que la laiterie luxembourgeoise rachète sur les marchés belges l’équivalent des volumes écoulés sous la marque Fairebel. Et, depuis janvier 2020, Faircoop organise la collecte du lait chez six éleveurs de Faircoop situés en province de Luxembourg et son acheminement vers Luxlait.

     

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  • Reste que ce n’est pas le lait des producteurs dans toutes les briques de lait ? Et l’essentiel des éleveurs de Faircoop n’ont pas changé de crèmerie : ils continuent à vendre à leurs laiteries habituelles, par ailleurs dénoncées par Faircoop… La section précédente sur la structuration de la filière lait doit permettre de comprendre qu’il est logique qu’il en soit ainsi. Dans un système hautement verrouillé, les alternatives passent nécessairement par du « bricolage », pour reprendre les mots de la chercheuse Marlène Feyereisen.

    La dépendance des producteurs à leur laiterie est un problème qui ne peut pas se résoudre du jour au lendemain. Pas plus que la structuration territoriale des laiteries. Pas plus que les verrous techniques du secteur. Le lait UHT par exemple, à savoir le lait de consommation standard qui peut se conserver plusieurs mois (contrairement au lait cru ou au lait simplement pasteurisé), est le fruit de procédés industriels partie intégrante de filières difficilement compatibles avec du circuit-court. Créer sa propre laiterie coopérative n’est pas envisageable dans l’immédiat.

    Premièrement, étant donné la dispersion des producteurs aux quatre coins de la Belgique, il faudrait en créer plusieurs… Deuxièmement, cela demanderait d’avoir des fonds très importants. Troisièmement et surtout, ce serait prématuré : il faut d’abord que la demande pour un lait Fairebel 0,10€ plus cher soit suffisante, sans quoi ladite laiterie devrait se résoudre à ne pas pouvoir acheter le lait à ses producteurs à un prix rémunérateur étant donné les conditions de marché. Il faut comprendre la condition des producteurs laitiers comme imbriquée dans la filière laitière et ses inerties systémiques. C’est aussi de ce point de vue que l’on peut comprendre le choix de passer par la grande distribution pour la commercialisation.

    On joue avec des volumes de production conséquents, qui doivent donc trouver des débouchés conséquents. Les investissements consentis par les producteurs l’ont été en accord avec une certaine structuration de la filière lait, pour répondre à un certain type de production. Il n’est dès lors pas aisé de remettre ces volumes standards de production en question à court terme, les investissements agissant comme un verrou indépassable. Pas plus qu’il ne serait aisé de se mettre du jour au lendemain à faire de l’auto-transformation (beurre, fromage) à écouler en circuit direct. La vente en direct concerne aujourd’hui 3% de la production. Toute intéressante qu’elle soit, c’est une option difficile à généraliser. Pour une question de volume à écouler (couplée à une répartition géographique non homogène de la production sur le territoire wallon), mais aussi car il s’agit de nouveaux investissements à consentir et de nouveaux métiers à apprendre (l’activité de transformation en tant que telle, mais aussi les activités liées à la vente).

    À travers son projet commercial, Faircoop vise avant tout à gagner en poids pour regagner du pouvoir de marché, et donc un pouvoir de négociation qui fait tant défaut aux producteurs laitiers.

    Certaines voix reprochent à Faircoop de ne pas pousser assez loin la réflexion sur les méthodes de production, sur le type d’agriculture défendue. Pourquoi ouvrir de manière indifférenciée les portes à tous les producteurs laitiers, même les plus gros, ceux qui acceptent le jeu de la course à l’agrandissement ? On nous relate que certains producteurs sont coopérateurs par pur effet d’aubaine. Pourquoi ne pas favoriser ceux qui, envers et contre tout, visent à maintenir des élevages à taille humaine et aux pratiques de production exemplaires ? Pourquoi ne pas profiter de la base acquise pour appuyer une transition progressive des éleveurs coopérateurs vers le bio ? Ce sont des questions légitimes. Et Faircoop n’a bien entendu pas le monopole de l’alternative. On peut citer une coopérative à taille humaine comme Biomilk, par exemple, qui rassemble 46 éleveurs exclusivement en bio et produit 15 millions de litres par an, correctement rémunérés. Pour Faircoop, le fait de s’adresser à tous les éleveurs laitiers sans condition marque une approche plus généraliste qui affirme la prédominance de la question sociale qui touche les éleveurs dans leur globalité.

    Il faut prendre la démarche commerciale Fairebel pour ce qu’elle est : une initiative solidaire d’urgence devant permettre aux producteurs de sortir, au moins partiellement, la tête hors de l’eau ! Ce n’est pas l’initiative commerciale Fairebel qui résoudra à elle seule les problèmes de la filière, ni plus globalement les impacts mortifères de la mondialisation de l’agriculture. Et, cela, Faircoop en a conscience.

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  • Voilà pourquoi il serait dommage de limiter Faircoop à son projet commercial Fairebel. Car, en parallèle du projet commercial, il y a un projet politique. Soulignons qu’une marque détenue par les producteurs eux-mêmes, c’est déjà une petite révolution dans une filière à ce point verrouillée (les réticences des laiteries installées à le permettre est un indicateur !). Que la récupération de la filière par les principaux concernés puisse progresser et aller plus loin dans le futur, c’est assurément l’ambition de Faircoop.

    Mais le projet politique, c’est aussi et surtout celui d’un plaidoyer mené aux échelons belge et européen. Tout producteur qui rejoint Faircoop s’affilie par la même occasion au syndicat laitier MIG, lui-même membre de la fédération européenne EMB. Un moyen de montrer que participer au projet Faircoop ne doit pas être qu’un effet d’aubaine pour les producteurs, mais aussi un moyen de soutenir le plaidoyer européen pour la régulation du marché du lait. Pour chaque litre de lait vendu sous la marque Fairebel, 0,01€ est reversé au MIG et 0,01€ à l’EMB. Les têtes de proue de Faircoop sont les mêmes que celles du MIG. Le MIG coordonne des actions politiques sur le territoire belge, comme la grève du lait en 2009.

    Erwin Schöpges, à l’initiative du MIG et de Faircoop, est aujourd’hui président de l’EMB. Et, à ces niveaux, on passe à une autre dimension, une dimension bel et bien politique. Des revendications concrètes y sont portées, et pointent les blocages macropolitiques qui mettent le secteur dans l’impasse. On y parle de régulation des prix (avec la barre de 0,45€ par litre défendue sans relâche). On y parle des impasses de la PAC (politique agricole commune européenne). Plus généralement, on y pointe les limites d’une extension sans limite des marchés, d’une mondialisation débridée, et son incompatibilité avec la souveraineté alimentaire. Bref, l’EMB traite de questions sine qua non de toute réflexion portant sur la transition des systèmes alimentaires. Faircoop permet notamment de donner une base plus large en Belgique à cette vision politisée des enjeux qui pèsent sur le secteur laitier !

    « À la fois dans et contre le marché ». C’est dans ces termes très justes que la chercheuse Marlène Feyereisen pointe l’ambigüité fondatrice de Faircoop, qui doit jongler entre une volonté de changement systémique des institutions et de la filière d’une part (contre le marché), et la nécessité de trouver des solutions économiques de court-terme dans un système verrouillé avec lequel elle n’a d’autre choix que de composer (dans le marché).

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  • Quelques enseignements
    Au-delà de Faircoop et du secteur du lait, que peut-on plus généralement retenir de cette brève analyse en tant que consommateurs concernés ?

    Premièrement, si la transition de nos systèmes alimentaires doit être une priorité, elle ne pourra pas se faire sans tenir compte de la situation de départ. Que nous nous sentions de plus en plus concernés par les enjeux sociaux et environnementaux de ce qui se retrouve dans nos assiettes est bienvenu. Une certaine radicalité est nécessaire mais ne devrait pas pousser à s’aliéner les agriculteurs pris dans des filières qui sont le fruit d’une construction historique. Ils en sont à la fois la première ligne et, pour beaucoup, les premières victimes à mesure que ses filières s’industrialisent et se mondialisent. Que fait-on de l’héritage de l’agriculture telle qu’elle s’est construite, et des investissements qui ont été fait sur base de ses promesses non tenues ? Il ne s’agit pas d’une invitation à avaler les couleuvres, mais bien d’une invitation à une certaine convergence des luttes en matière agricole pour se fédérer dans l’opposition au triptyque dévastateur concentration-industrialisation-mondialisation.

    Deuxièmement, les choses sont souvent complexes. Les différentes filières ont chacune leurs particularités et des verrous plus ou moins forts engendrés par l’inertie du système en place. Il est nécessaire d’en comprendre les enjeux. De comprendre dans quel jeu social, économique et technique sont pris les producteurs en place, et de mesurer à cette lueur les alternatives qu’ils mettent sur pied. Cette complexité amène à devoir « bricoler » des solutions. Et cette complexité est difficilement résumable sur un packaging. Faisons preuve de curiosité et de modestie. Et, surtout, ne nous trompons pas de cible. C’est une invitation à sortir tant que possible d’une lecture binaire qui voudrait que les alternatives soient soit parfaitement pures, soit totalement dérisoires.

    Enfin, gardons à l’esprit que, derrière les initiatives économiques, il va surtout falloir opérer des changements institutionnels. Cela nécessite de réinvestir le terrain politique et de questionner sans relâche l’idéologie économique aujourd’hui portée par l’Union européenne. Il faut pouvoir opposer à la main invisible des marchés une vision et une planification politiques. C’est une ambition digne et nécessaire pour notre souveraineté alimentaire.

    Rédaction : Mathieu Vanwelde – SAW-B

  • « Seule une relocalisation des activités paraît à même de maintenir une agriculture diversifiée, minimiser les coûts de transport vers les bassins de consommation et restaurer des liens de confiance entre producteurs, consommateurs et territoires. Cette politique agricole et alimentaire n’est cependant pas envisageable dans une Europe qui s’est donné comme premier objectif la compétitivité sur les marchés mondiaux. Elle suppose la remise en cause des accords de libre-échange et l’élaboration d’une régulation fondée sur la solidarité et la souveraineté alimentaire. Seule cette approche est susceptible de fournir un environnement économique suffisamment stable pour maintenir des outils de production, assurer l’autonomie alimentaire des grandes régions et l’adoption de pratiques préservant les ressources naturelles tout en assurant une juste rémunération des agriculteurs ». (Matthieu Cassez et Aurélie Trouvé, « Traire plus pour gagner moins », Le Monde Diplomatique, avril 2010)

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