Des producteurs déclenchent une « grève du lait » à l’échelle européenne, à laquelle participent quelques 40.000 éleveurs ! On continue à produire (il faut traire, sans quoi la lactation de la vache se stoppe), mais on ne vend plus le lait, on l’épand ! Solution du désespoir, c’est alors la seule manière de se faire entendre. En Wallonie, ces actions sont coordonnées par le MIG (Milcherzeuger Interessengemeinschaft, groupement d’intérêt de producteurs laitiers belges). Les épandages sont médiatisés. Les 3 millions de litres de lait déversés à Ciney le 16 septembre 2009 marquent les esprits. Les images sont fortes et percolent dans l’opinion public. Si l’Europe reste sourde, les consommateurs interpellent les producteurs : « que peut-on faire pour vous aider ? ». La réponse n’est pas simple. Leur dire de ne pas acheter le lait le moins cher en grande surface n’aurait en rien servi les laitiers. Il n’y avait à ce stade pas de moyen direct pour soutenir les éleveurs par un acte d’achat (à moins d’acheter du lait cru à la ferme, option peu généralisable).
C’est ainsi que naît la coopérative Faircoop. Sur le modèle du « Fair Milk Programme » plébiscité par le European Milk Board (EMB), dont le MIG est membre, il s’agit de créer une marque détenue par les producteurs laitiers et sous laquelle sera commercialisé du lait 0,10€ plus cher que le prix du marché, en soutien aux producteurs membres. En fin d’année, les recettes bénéficiaires sont réparties entre les membres. Une division par personne (selon le nombre de parts détenues, qui est plafonné) et non selon les volumes produits, ce qui rend l’initiative plus intéressante pour les petits producteurs que pour les gros. Mises sous pression par les tracteurs des éleveurs devant les centres de distribution, et par les consommateurs sensibilisés à la cause des éleveurs, les enseignes de la grande distribution acceptent de nouer des contrats avec Faircoop. Quelques mois plus tard, les cartons de lait demi-écrémé Fairebel peuplent les rayons de supermarchés.
Onze ans plus tard, la marque Fairebel est un succès commercial. 10 millions de litres de lait vendu par an et plusieurs produits ajoutés à la gamme (glaces, lait chocolaté, beurre …). Plus récemment (été 2020), la coopérative s’est étendue aux fruits et à la viande. Faircoop compte 550 producteurs coopérateurs et a ouvert en 2015 le capital aux consommateurs qui souhaitent renforcer leur soutien (environ 1300 consommateurs coopérateurs).
Pas très radical, Faircoop ?
Très vite, des critiques retentissent par rapport à l’initiative Faircoop. En mai 2010, le CRIOC dépose une plainte contre le lait Fairebel, que l’organisation accuse de tromper le client sur la marchandise. La presse qui l’encensait la veille commence à pointer Faicoop du doigt. Deux constats motivent ces réactions. Le lait que l’on retrouve dans les cartons Fairebel n’est pas celui produit par les producteurs coopérateurs de Faircoop. Pire, c’est du lait luxembourgeois qui vient en droite ligne de la laiterie Luxlait. Aujourd’hui encore, ces éléments motivent des a prioris négatifs sur Fairebel chez certains acteurs des circuits-courts. Si ce n’est pas leur lait, les laitiers auraient-ils tout aussi bien pu commercialiser des calendriers ou du massepain ? Alors : supercherie ? Ou c’est plus complexe que ça ?
C’est plus complexe que ça ! À première vue, c’est vrai qu’il y a de quoi se poser des questions. Mais pour comprendre l’intérêt de la démarche, il faut être prêt à ne pas se limiter aux premières vues. Premièrement, la commercialisation de lait Fairebel doit être comprise dans un contexte propre, celui d’un secteur du lait verrouillé. Ensuite, il est inadéquat de limiter Faircoop à son projet commercial Fairebel.
Si, au lancement du projet, la grande distribution accède rapidement aux demandes de Faircoop, ce n’est pas le cas des laiteries belges. Pour les représentants de Faircoop que nous avons rencontrés, le constat est clair : aucune ne voulait traiter avec Faircoop en 2009, aucune ne souhaitait lui vendre du lait pour être commercialisé sous une marque aux mains des producteurs. Luxlait était dès lors une solution de repli, à laquelle la coopérative est ensuite restée loyale au fil des années et des propositions ultérieures de laiteries belges à mesure que Faircoop grandissait. Du côté des laiteries, on s’offusque du discours de Faircoop, faisant valoir le fait que des négociations ont eu lieu mais que Faircoop a préféré y mettre fin et travailler avec Luxlait, qui lui offrait de meilleurs prix en rognant sur ses marges dans une mesure que les laiteries belges ne pouvaient pas suivre. Nous n’étions pas à la table des négociations pour tirer le fin mot de l’histoire. Toujours est-il que, très rapidement, des accords ont été passés avec Luxlait pour que la laiterie luxembourgeoise rachète sur les marchés belges l’équivalent des volumes écoulés sous la marque Fairebel. Et, depuis janvier 2020, Faircoop organise la collecte du lait chez six éleveurs de Faircoop situés en province de Luxembourg et son acheminement vers Luxlait.