Rayon9 : Une coopérative qui fait avancer l’économie sociale, un kilomètre à la fois
Serge Mignonsin, ancien éducateur spécialisé et enseignant, n’imaginait pas que son parcours le mènerait un jour à cofonder une coopérative de logistique à vélo en plein cœur de Liège. Avec son collègue Benoît Renard, également issu du monde de l’enseignement, ils décident de franchir le pas et de se lancer dans un projet alliant leurs valeurs sociales et environnementales. Rayon9 est né d’un désir commun de travailler ensemble, de retrouver en première ligne aux prises avec des problématiques concrètes et réelles sur le terrain et répondre aux défis concrets de leur ville tout en respectant des principes d’économie sociale. Dès les débuts, ils ont pu compter sur l’accompagnement et les ressources offertes par l’écosystème de l’économie sociale, qui se sont révélés déterminants pour faire évoluer Rayon9 d’une idée ambitieuse à une coopérative solide et impactante. En bénéficiant de conseils spécialisés et de l’aide financière de partenaires engagés, la coopérative a trouvé les ressources nécessaires pour s’adapter aux aléas de son parcours et développer ses activités. Cet accompagnement a permis de franchir des étapes cruciales et de concrétiser l’ambition initiale : construire un projet collectif et durable, ancré dans les valeurs de l’économie sociale.
L’étincelle de l’idée
Pendant plusieurs années, Serge et Benoît collaborent dans l’enseignement, occupant respectivement des postes de coordinateur et de directeur d’école, puis de professeurs. Malgré la satisfaction que leur procurent ces rôles, ils ressentent tous deux une envie grandissante : celle de travailler ensemble en dehors de l’école, dans un projet d’économie sociale, et en particulier dans une coopérative.
Pourquoi ce choix de l’économie sociale et du modèle coopératif ? « Je crois que c’est lié à qui on est et à notre rapport à l’argent, notre rapport à la richesse » explique Serge. « À partir du moment où l’on a un métier qui rémunère suffisamment pour pouvoir vivre, il n’est pas nécessaire de s’enrichir davantage. Et donc l’économie sociale et les coopératives permettent de définir des balises en termes d’enrichissement personnel et surtout en termes d’enrichissement collectif. »
Ce qui les anime aussi, c’est la possibilité de créer une activité économique qui bénéficie à la collectivité. Ainsi, ils ont l’impression de gagner à plusieurs niveaux : sur le plan personnel, en s’investissant dans un projet en accord avec leurs valeurs profondes, et sur le plan sociétal, en offrant un service utile qui contribue à une meilleure qualité de vie pour tous.
Après avoir pris la décision de travailler ensemble, Serge et Benoît se sont fixé un rendez-vous pour échanger leurs idées. Dès le lendemain, chacun est venu avec ses propositions. Benoît, de son côté, est arrivé avec un article tiré du magazine Imagine, Demain le Monde, qui parlait des coursiers à vélo en Europe. À partir de ce moment, ce concept de cycle-logistique ne les a plus quittés. Ils ont réfléchi à cette idée pendant trois ans, la peaufinant et la développant. Finalement, Rayon9 a vu le jour, renforcé par l’arrivée du beau-frère de Serge, Julien Demonceau, devenu le troisième cofondateur après avoir suivi leur aventure de près et décidé de s’y investir pleinement.
Les défis et les réussites : un chemin semé d’embûches, mais porteur d’espoir
L’aventure de Rayon9 n’a pas été sans obstacle. Au début du projet, les premiers coopérateurs, premiers soutiens financiers et moraux du projet, sont principalement issus du réseau relationnel des co-fondateurs : famille, amis et collègues. La croissance rapide de l’activité plonge rapidement Serge, Benoit et Julien « le nez dans le guidon », comme le dit Serge. Ils se retrouvent submergés par les exigences opérationnelles, ce qui les empêche d’activer pleinement la dynamique coopérative qu’ils avaient initialement envisagée.
En 2018, après une période financièrement compliquée, l’équipe fait appel à l’accompagnement de Propage-s, une agence-conseil spécialisée dans les projets d’économie sociale. Cela fait suite à un premier accompagnement avec SAW-B lors du démarrage du projet. Grâce à cet encadrement, Rayon9 parvient à reprendre un second souffle et à activer la dynamique coopérative. L’implication des coopérateurs devient alors un véritable soutien moral et financier. Serge se souvient des réunions où, après avoir présenté des comptes déficitaires, la réaction des coopérateurs a été un véritable soulagement : « La plupart des gens nous ont dit : moi, j’ai investi des parts dans Rayon9 parce que je crois au projet. Je sais qu’il y a plein d’embûches sur votre chemin, mais je crois au projet. » L’Assemblée générale se révèle alors être un puissant moteur auxiliaire pour l’entreprise. Ce soutien moral a non seulement permis à l’équipe de persévérer, mais il a aussi réaffirmé l’importance de l’esprit coopératif au cœur de Rayon9. Cette dynamique leur a permis de surmonter plusieurs difficultés, et de se reconnecter avec leur réseau de coopérateurs, renforçant ainsi la dimension collective du projet.
Le tournant de la pandémie : une opportunité inattendue
L’année 2020 et la pandémie de COVID-19 marquent un tournant pour Rayon9. À l’instar de nombreuses entreprises, ils sont contraints de suspendre leurs activités au début du confinement. Cependant, ils décident rapidement de se réinventer en s’engageant dans la distribution de masques pour la ville de Liège. Cette initiative leur permet non seulement de continuer à travailler, mais aussi de rendre un service crucial à la communauté.
Pendant cette période, ils constatent également un regain d’intérêt pour la logistique à vélo, de la part d’entreprises cherchant des alternatives écologiques pour leurs livraisons. Des clients importants, comme Nespresso ou Galler chocolat, viennent alors rejoindre la liste de leurs partenaires.
Après 2023 : un rebond grâce à des financements externes
L’année 2023 a aussi été une période charnière pour Rayon9. Après avoir perdu un gros client en début d’année, l’équipe aurait pu céder à la panique et chercher à combler ce vide à tout prix. « Au lieu de nous précipiter pour combler le vide laissé par ce client, nous avons décidé de nous poser et de réfléchir à notre modèle, » explique Serge. Ils se sont interrogés sur la direction à prendre : soit réduire leurs activités pour revenir à un modèle plus modeste et équilibré, soit poursuivre leur croissance pour maximiser leur impact social et environnemental.
Rayon9 a choisi la deuxième voie, celle de l’expansion. Convaincus du potentiel de leur projet, ils ont cherché des solutions de financement pour accroître leur impact. Pour soutenir cette nouvelle phase de développement, Rayon9 a recours à plusieurs financements externes. Ils ont d’abord déposé un dossier de bourse coopérative, une subvention de la Région wallonne destinée aux coopératives en développement, ainsi qu’une demande de soutien auprès de W.Alter, un fonds d’investissement pour les entreprises sociales. Ces deux initiatives ont porté leurs fruits : Rayon9 a reçu des réponses positives des deux côtés.
Grâce à ce soutien financier, Rayon9 a gagné un nouvel élan, renforçant leur confiance dans le potentiel de leur projet. Serge confie : « Ces réponses positives nous ont donné un véritable souffle d’air frais et nous ont permis d’aller de l’avant avec encore plus d’ambition. »
Enfin, un nouvel appel à l’épargne est actuellement en cours. Cette démarche, dans un premier temps menée de manière discrète et principalement par bouche-à-oreille, a déjà permis à Rayon9 de récolter une partie significative des fonds nécessaires pour soutenir leur croissance. Leur objectif est de lever 120 000 €, et ils ont déjà dépassé le premier quart, un résultat encourageant qui montre que la communauté locale continue de croire dans le projet.
Avec ces nouvelles ressources, Rayon9 est prêt à poursuivre sa croissance et à consolider sa place en tant qu’acteur majeur de la logistique à vélo dans la région de Liège, tout en continuant à développer des partenariats avec des clients locaux et nationaux.
Un impact sur la société au sens large
Depuis sa création, Rayon9 a permis de réaliser plus de 150 000 livraisons à vélo dans la région de Liège, avec une réduction significative des externalités négatives liées à la logistique urbaine. Grâce à ces livraisons, l’entreprise a évité l’émission de tonnes de CO₂ et réduit le bruit, la pollution et la congestion dans la ville. « Nous avons parcouru environ un kilomètre et demi pour chaque livraison, ce qui montre bien l’inefficacité de la logistique urbaine traditionnelle lorsque l’on pense aux camions ou camionnettes parcourant de si petites distances pour chaque colis. »
En interne, Rayon9 s’efforce de créer des emplois de qualité. Tous les coursiers sont salariés, et l’entreprise veille à leur fournir du matériel professionnel, afin qu’ils n’aient pas à investir eux-mêmes dans leurs outils de travail (vélos, sacs, téléphones). Cette attention portée aux conditions de travail est au cœur des valeurs de l’entreprise, qui prône un management bienveillant.
Serge souligne que, depuis le début, la priorité a toujours été de créer un cadre de travail respectueux et solidaire, où chaque travailleur est encouragé à proposer des idées et à s’impliquer dans l’amélioration des processus. « Nous voulons que chacun se sente écouté et soutenu, même en cas d’erreurs, car c’est en essayant que l’on apprend. »
Depuis 2016, plus de 40 personnes ont travaillé chez Rayon9, et chaque collaboration a été l’occasion d’un échange constructif. Serge insiste sur le fait que, quel que soit le rôle de chacun — que ce soit en tant que mécanicien, coursier ou gestionnaire — tout le monde contribue à la réussite du projet. Cette approche collective renforce l’unité au sein de l’équipe et nourrit une dynamique où chacun se sent responsable et valorisé.
À titre personnel, Rayon9 permet à Serge de se réaliser pleinement. Il y trouve un alignement entre ses convictions et ses actions. « Ce projet me permet de combiner mes aspirations écologiques et sociales, et d’avoir l’impression que je contribue à faire bouger les choses à mon échelle, même si cela reste modeste. »
Il mentionne également l’importance de se sentir en action, notamment face aux enjeux environnementaux. « Je ne veux pas me contenter de dire à ma fille que le monde dans lequel elle grandit n’est pas parfait ; j’ai besoin de montrer que je fais ma part pour améliorer les choses, même à petite échelle. »
« Je suis heureux de pouvoir faire ce que je fais, dans un cadre qui respecte mes valeurs et qui me permet de contribuer à une cause plus grande que moi. » Et même si tout n’a pas été facile, Serge sait aujourd’hui que Rayon9 est une aventure qui vaut chaque effort.