Une boulangerie coopérative au cœur de Liège : l’histoire de l’Amicale des boulangers
Située sur un coin de la rue Saint-Léonard à Liège, l’Amicale des boulangers fait bien plus que du pain. Née de la reconversion de trois passionnés, cette boulangerie coopérative réinvente l’artisanat local. Ici, on pétrit non seulement pour le plaisir des papilles, mais aussi pour soutenir une agriculture locale durable et rassembler autour d’un projet social, profondément ancré dans son territoire. Rencontre avec Agnès Reis, l’une des cofondatrices de la coopérative.
Faire de sa passion un projet à impact
Agnès et ses cofondateurs n’ont pas toujours été boulangers. Issus du milieu du journalisme et de la communication, ils ont tous les trois ressenti, à un moment de leur parcours professionnel, l’envie de changement. Animés par une passion commune pour la boulangerie et la recherche d’un sens nouveau dans leur travail, ils ont décidé de franchir le pas. « C’était un peu le hasard de la vie, nous étions tous à un moment de nos vies où nous voulions changer de métier», explique Agnès.
Cette passion pour le pain, en particulier le pain au levain, sommeillait depuis longtemps chez eux. Mais ce n’était pas qu’une simple histoire de pain : c’était une quête de sens. Ils voulaient proposer un produit qui soit non seulement délicieux, mais aussi bénéfique pour la santé et plus respectueux de l’environnement. « Nous voulions absolument faire du pain au levain, parce qu’il est plus digeste, meilleur pour la santé, et aussi parce qu’il permet de valoriser des pratiques agricoles plus durables », souligne Agnès. C’est ainsi que l’idée de créer une boulangerie à la fois artisanale et engagée a germé.
Un pain levé par la communauté
Pourquoi ne pas simplement ouvrir une boulangerie traditionnelle ? Pour Agnès et ses collègues, cela n’aurait pas suffi. Leur ambition allait bien au-delà de la production de pain. Leur projet était de faire bien plus qu’un commerce, en mettant l’accent sur le collectif et l’économie sociale. « Nous voulions travailler ensemble, pas seuls. L’idée d’une coopérative s’est imposée naturellement. On avait envie d’inclure les consommateurs, nos proches, et les mangeurs de pain dans notre projet », explique Agnès. Le choix du modèle coopératif leur a également permis de s’affranchir des emprunts bancaires traditionnels. Même s’ils ne sont pas directement impliqués au quotidien, comme cela peut être le cas dans d’autres coopératives, la présence des coopérateurs et coopératrices est cruciale. Ils jouent un rôle de soutien important, car ils sont en quelque sorte les garants du projet. Ils participent chaque année à l’Assemblée générale, ce qui leur permet de suivre l’évolution de la boulangerie. « Pour nous, leur présence, même indirecte, est précieuse : ils sont un peu les gardiens de la boulangerie » précise Agnès.
Un impact local et durable
Dès la création de leur coopérative en 2020, l’Amicale des boulangers a fait de la revalorisation de la culture des céréales un des objectifs sociaux fondamentaux de son projet. « Aujourd’hui, une grande partie des céréales cultivées ne sont pas destinées à la consommation humaine, mais à l’alimentation animale ou à d’autres usages industriels. Nous voulons contribuer à inverser cette tendance en encourageant la culture de céréales panifiables », explique Agnès.
Ce projet va donc au-delà de la production de pain. Il s’inscrit dans une démarche plus large de revalorisation de l’agriculture locale, tout en répondant à des enjeux alimentaires durables. La boulangerie s’approvisionne directement auprès de producteurs dont les pratiques agricoles respectueuses de l’environnement. Ce choix leur permet d’offrir à leurs clients un pain de qualité, tout en participant à une démarche plus large de préservation et de réhabilitation de la filière céréalière en Wallonie.
Un projet collectif soutenu par la communauté
L’un des aspects clés de la réussite de l’Amicale des boulangers réside dans le soutien qu’ils ont reçu dès le début du projet. Agnès insiste sur l’importance des structures d’accompagnement qui ont joué un rôle crucial dans la concrétisation de leur initiative. « Nous avons été aidés par plusieurs organismes, comme Propage-s, une agence-conseil en économie sociale, qui nous a accompagnés dans l’élaboration de notre plan financier, et Step Entreprendre, qui nous a permis de tester notre projet », explique-t-elle.
Ils ont démarré à petite échelle, louant un espace au Comptoir des ressources créatives de Liège, où ils ont commencé par produire une seule fournée de pain par semaine. Progressivement, ils ont augmenté leur production jusqu’à atteindre quatre fournées par semaine. Ce n’est qu’après un an et demi de travail acharné qu’ils ont pu officiellement créer leur société coopérative.
Le modèle coopératif qu’ils ont choisi leur a également permis de se passer des prêts bancaires traditionnels. La 1re levée de fonds a impliqué des investisseurs institutionnels comme W.ALTER, partenaire financier de l’économie sociale et coopérative en Wallonie, mais aussi une communauté de coopérateurs composée de proches, de consommateurs et d’acteurs locaux. Aujourd’hui, 125 coopérateurs soutiennent le projet. Pour Agnès, cet engagement communautaire est essentiel : « Même si nos coopérateurs ne sont pas directement impliqués dans le quotidien de la boulangerie, ils jouent un rôle clé en tant que garants du bon fonctionnement de notre projet. »
Récemment, l’Amicale des boulangers a clôturé une deuxième levée de fonds pour financer plusieurs aménagements indispensables, notamment l’agrandissement de l’espace de production et la lutte contre la surchauffe en été grâce, entre autres, à une meilleure extraction d’air et des systèmes de climatisation. Ce soutien continu renforce leur détermination à poursuivre leur développement dans le respect de leurs valeurs initiales.
Des défis, mais aucun regret
Lancer une coopérative n’a pas été sans défis. « C’était un processus intense avec beaucoup de travail et de nombreuses réunions pour aligner nos idées », se souvient Agnès. Mais malgré les défis, elle et ses collègues ne regrettent rien. « Nous avons la chance de pouvoir travailler en harmonie avec nos valeurs, tout en maintenant un équilibre vie privée-vie professionnelle. Nous sommes satisfaits de la viabilité du projet, tout en gardant comme objectif l’augmentation des salaires de l’équipe. Et nous venons au travail avec le sourire chaque jour !»
Au-delà de leur activité boulangère, l’Amicale des boulangers a joué un rôle important dans la revitalisation de leur quartier. Initialement, cet aspect n’était pas leur priorité, mais ils se sont vite rendu compte de l’impact de leur commerce de proximité. « Aujourd’hui, nous sommes heureux de contribuer à redonner vie à un quartier où de nombreux commerces avaient fermé leurs portes. Nous voulons être une alternative aux grandes surfaces et créer un lieu accueillant pour tous », explique Agnès.
Aujourd’hui, la boulangerie fonctionne à plein régime, avec deux des 3 fondateurs, un boulanger supplémentaire, une stagiaire, et du personnel de vente. « Ce qui nous motive, c’est de voir que notre modèle fonctionne. Nous plaçons l’humain avant le profit, et malgré cela, nous arrivons à faire tourner notre entreprise de manière durable », confie Agnès avec fierté.
Un modèle pour inspirer les futurs entrepreneurs
Agnès encourage vivement ceux qui envisagent de se lancer dans un projet d’économie sociale à franchir le pas. « C’est un autre modèle d’économie, plus humain et plus éthique, et ça marche ! », affirme-t-elle. Pour elle, l’économie sociale offre une opportunité unique de donner un sens à son travail tout en ayant un impact positif sur la société.
Son message aux jeunes, et moins jeunes, qui hésitent encore à se lancer est clair : « Il faut oser, il faut se lancer, surtout si c’est un projet qui vous tient à cœur. L’économie sociale permet de construire des projets qui placent l’humain au centre, et c’est ça qui fait la différence. »